La malédiction des templiers
absoudra de tous vos crimes si vous partez en Terre sainte pour y massacrer les païens. » La récupération des lieux saints représentait donc un enjeu considérable, et l’échec de l’Eglise fut pour elle un sacré coup dur. Les gens du peuple commencèrent à prendre peur, se demandant si Dieu leur en voulait. Ou si une puissance maligne était à l’œuvre, minant les efforts divins. Si tel était le cas, qui étaient ses agents, et de quels pouvoirs disposaient-ils ?
« Durant tout ce processus, d’autres événements couvaient simultanément en Europe occidentale, poursuivit Tess. Certains groupes, je parle là des personnes qui détenaient le pouvoir, membres du clergé et de la royauté, les rares sachant lire et écrire, avaient depuis peu commencé à prendre de nouveau au sérieux les dangers de la magie et de la sorcellerie. Ce qui n’était plus le cas depuis des siècles ! Ces préoccupations avaient disparu avec le paganisme. La magie, la sorcellerie étaient tournées en ridicule, présentées comme des superstitions de vieilles femmes au cerveau dérangé. Mais lorsque les Espagnols reprirent aux Maures une partie du sud de l’Espagne, vers la fin du XI e siècle, ils découvrirent tout un univers, nouveau pour eux, dans les écrits qu’abritaient des lieux comme la bibliothèque de Tolède. Il s’agissait d’anciens textes scientifiques classiques apportés par les Arabes, qui les avaient traduits dans leur langue, puis en latin, à partir du grec ancien. L’Occident redécouvrit donc ces textes perdus, œuvres de grands savants et penseurs qu’ils avaient complètement oubliés, Platon, Aristote, Ptolémée, ainsi que de nombreux autres dont ils n’avaient jamais entendu parler : des œuvres comme le Picatrix , les Cyranides , le Secreta Secretorum , qui étudiaient la philosophie, l’astronomie, mais aussi les idées magico-religieuses, les potions, les sorts, la nécromancie, l’astromagie, toutes notions dont ces gens ignoraient tout jusqu’alors. Ce qu’ils y lurent les épouvanta au plus haut point. Car ces textes, même si nous les considérons aujourd’hui comme primitifs ou erronés, parlaient de science, du fonctionnement de l’univers, du mouvement des étoiles, des méthodes permettant de soigner le corps humain. Autrement dit, de la façon dont l’homme pouvait dominer les éléments. Ce qui, pour eux, était terrifiant. C’était la science à ses prémices, et ces prémices furent considérées comme de la magie. Et dans la mesure où cela mettait en péril le concept de “volonté divine”, les prêtres les présentèrent comme “magie noire”, tous les résultats obtenus grâce à elles étant stigmatisés comme œuvres du démon ou de ses suppôts…
Se souvenant d’un épisode découvert lors de ses premiers contacts avec les moines-soldats, Reilly intervint :
— Les Templiers n’ont-ils pas été accusés d’adorer la tête d’un démon ?
— Si, bien sûr. Le Baphomet. Il existe à ce sujet plusieurs théories divergentes et, aujourd’hui encore, nous ne savons pas très bien de quoi il s’agissait exactement. Mais c’est là où je voulais en venir : pour comprendre pourquoi on s’est attaqué aux Templiers en portant sur eux toutes sortes d’accusations pour la plupart ridicules, il faut bien saisir l’état d’esprit qui régnait à l’époque.
— On se trouve donc en présence d’une population qui pense que Dieu lui en veut, que les agents du diable ont entrepris de l’exterminer, ainsi que de prêtres et de rois qui estiment que la magie noire pourrait bel et bien exister.
— Exactement. Et sur cet arrière-plan déjà lourd, on a ces moines-soldats richissimes et hautains qui viennent de rentrer en Europe après avoir perdu la Terre sainte, et ne semblent pas plus affectés que cela par leur défaite. Ils sont toujours à la tête de biens meubles et immeubles considérables, dont ils vivent plus que largement, tandis que la population crève de faim. Les gens se mettent alors à se poser des questions, se demandant comment font ces types pour s’en sortir aussi bien. Puis ils en viennent à se dire qu’ils ont peut-être des pouvoirs maléfiques, à se demander s’ils ne commercent pas avec le diable, si ce ne sont pas des sorciers débauchés, des adorateurs du démon. C’est cette crainte de la magie noire qui a été à l’origine des procès des Templiers. Il va de soi que leur accusateur principal,
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