La malédiction des templiers
visible était réduite au strict minimum. L’aviation de loisir était nettement plus onéreuse en Italie que dans le reste de l’Europe du fait du coût très élevé du carburant, fortement taxé, et de lourdes charges pour pratiquement tout, depuis l’utilisation de l’espace aérien jusqu’aux services de déneigement et de dégivrage – des frais non négociables, même en Sicile au plus fort de l’été –, et le petit aérodrome s’était peu à peu dégradé jusqu’à ce qu’un tremblement de terre d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter frappe la région, au printemps de 2009. Les routes étroites et sinueuses sillonnant la zone avaient été rapidement congestionnées par les gens du coin s’enfuyant par crainte des répliques, mais les installations, aussi délabrées et isolées fussent-elles, se trouvaient à un jet de pierre des villes et villages dévastés, ce qui avait rendu possible un envoi massif de sauveteurs et d’aide humanitaire, et, par la même occasion, donné au Premier ministre italien l’idée de changer le lieu prévu pour accueillir en juillet le sommet du G8, qui, de Sardaigne, avait été transféré dans la petite ville médiévale de L’Aquila, en solidarité avec les victimes du séisme. Le terrain d’aviation s’était en conséquence fait refaire une beauté afin de recevoir les dirigeants des pays développés, avant d’en revenir à son état naturel, paisible et somnolent.
Ce qui convenait parfaitement à Zahed.
Il arrêta la voiture devant la guérite du gardien, apercevant déjà, au loin, l’avion de Steyl sur le tarmac, son fuselage blanc miroitant sous le soleil matinal. Le bimoteur, un Cessna Conquest, était parqué un peu à l’écart de la douzaine de monomoteurs plus modestes de l’Aéroclub de L’Aquila, alignés le long de la courte piste asphaltée.
Le cerbère baissa son journal, la Gazzetta Dello Sport , seul quotidien du monde aux pages de couleur rose, et lui adressa un signe de la main léthargique. Zahed attendit que l’homme, négligé, bedonnant, se décide à se lever de sa chaise au cannage fatigué pour s’approcher du véhicule. Zahed lui expliqua qu’il avait besoin d’aller déposer à l’avion des bagages et diverses fournitures. Le gardien hocha lentement la tête, se dirigea sans se presser vers la barrière et posa son gros bras sur le contrepoids. La barrière se releva juste assez pour permettre à Zahed de faire passer la voiture, ce qu’il fit, non sans adresser un aimable signe de remerciement au si perspicace gardien.
L’homme ne lui posa pas la moindre question sur l’individu aux lunettes noires assoupi sur le siège passager. Zahed n’en attendait pas moins de lui. Dans un petit aérodrome paisible, éloigné de tout comme celui de L’Aquila – félicitations à Steyl, une fois de plus –, la sécurité ne pesait pas lourd face aux résultats des dernières rencontres du Calcio .
Zahed roula jusqu’à l’avion et se gara juste à côté. Steyl l’avait habilement positionné de sorte que la porte de la cabine soit dissimulée à la vue des autres appareils, du hangar du club d’aviation et, plus loin, du bâtiment jaune et bleu qui abritait les bureaux de l’aérodrome et sa modeste tour de contrôle. Précaution sans doute superflue dans la mesure où il n’y avait pas âme qui vive alentour.
Le pilote, un grand rouquin musculeux, à la barbe fournie, aux cheveux coiffés en arrière et aux yeux verts enfoncés dans leurs orbites, émergea de la cabine et aida Zahed à soutenir Simmons, aux trois quarts inconscient sous l’effet des sédatifs. Les deux hommes firent gravir à l’archéologue les marches de la passerelle et l’installèrent dans l’un des vastes sièges en cuir. Zahed vérifia son état. Sous les lunettes aux verres fumés, les yeux de Simmons fixaient l’espace devant lui d’un regard vide ; sa bouche était entrouverte et une goutte de salive perlait à l’extrémité de sa lèvre inférieure. L’Américain aurait sans doute besoin qu’on lui administre une nouvelle dose avant qu’ils atterrissent en Turquie.
— Fichons le camp d’ici, lança Zahed au pilote.
— Tout est paré, fit le Sud-Africain d’un ton bourru, sans que Zahed, qui savait que c’était son mode d’expression habituel, s’en offusque. Laissez la voiture en dehors du taxiway, de façon à ce qu’elle n’attire pas l’attention. Je démarre les moteurs.
Zahed suivit
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