La malédiction des templiers
avant que le véhicule ne soit englouti dans un ultime gargouillement.
Il tint bon tandis que le bus glissait lentement vers le fond. A travers l’eau trouble, il pouvait apercevoir les visages spectraux, paniqués, des passagers de l’autre côté de la vitre arrière du véhicule. Ils tiraient de toute leur force sur la poignée de secours censée déclencher son ouverture, mais celle-ci demeurait fermée et, de désespoir, certains d’entre eux frappaient la vitre du poing, de toutes leurs forces. Tenant toujours la barre de la galerie de toit d’une main, Reilly chercha de l’autre l’étui de son pistolet et en extirpa son arme avant de l’agiter devant les passagers le plus près de lui, espérant qu’ils comprendraient son geste. Ils ne s’effacèrent pas, mais Reilly poursuivit néanmoins son idée : il plaqua le canon de son arme contre l’extrémité supérieure de la vitre, visa le toit à l’intérieur du bus, puis tira, encore et encore. Cinq balles en tout, coup sur coup. Les coups de feu avaient suffisamment fragilisé le verre pour qu’il n’ait plus qu’à taper dessus avec la crosse de son arme pour qu’il cède. Lorsque la vitre se brisa, l’air que contenait encore l’autobus s’échappa dans un tourbillon si puissant que Reilly faillit lâcher la barre à laquelle il se retenait.
L’un après l’autre, les passagers pris au piège sortirent de l’autobus dans un désordre indescriptible, bras désespérément tendus vers Reilly, s’emparant de la main qu’il leur offrait, puis se donnant une impulsion pour remonter vers la lumière. L’Américain résista autant que ses poumons le lui permettaient, avant de lâcher prise et de les suivre vers la surface, la joie de savoir tous les occupants de l’autobus sains et saufs ne compensant cependant pas tout à fait la profonde frustration qui le tenaillait.
22
Lorsqu’il parvint enfin à regagner le Patriarcat, Reilly trouva le complexe dans un état de chaos indescriptible. L’artère qui y menait était bloquée par des voitures de police, ambulances et autres camions de pompiers. Des secouristes s’affairaient en tous sens, essayant de porter assistance à ceux qui en avaient besoin.
Il avait rejoint à la nage l’une des piles du pont et l’avait escaladée. Un policier avait fini par arriver sur les lieux de l’accident et, après de longues palabres, avait accepté de le conduire au Phanar. Il avait quitté sa chemise mouillée et enfilé la veste qu’il avait ôtée avant de sauter dans l’eau, mais son pantalon était trempé, ce qui n’avait guère amélioré son humeur.
Compte tenu de la confusion ambiante et du bouclage du quartier pour raisons de sécurité, il avait dû parcourir à pied les quelques centaines de mètres qui le séparaient du complexe, où il avait retrouvé Tess devant le portail. Ertugrul était à ses côtés, ainsi que deux jeunes soldats des forces paramilitaires qui paraissaient un peu trop prêts à tirer au moindre prétexte. Des policiers sur les dents avaient le plus grand mal à maintenir journalistes et curieux à l’écart alors qu’une armée de chats – révérés à Istanbul, où on les considérait comme des porte-bonheur – observaient tranquillement toute cette agitation depuis les murs ou les trottoirs ensoleillés.
Le visage de Tess s’épanouit dès qu’elle l’aperçut, avant d’afficher un étonnement incontestable à la vue de son pantalon trempé et de son absence de chemise.
— Tu ne peux pas garder ces vêtements, dit-elle en le prenant par le bras, après un rapide baiser.
— Mon sac est toujours dans la voiture ? demanda-t-il à Ertugrul.
— Oui, répondit l’attaché juridique. Elle est garée dans la rue, un peu plus bas.
Reilly regarda du côté du complexe, où des secouristes chargeaient un brancard dans une ambulance. Le corps qui y était allongé était recouvert d’une couverture grise. Un troupeau de prêtres l’entourait. Tous avaient l’air désespérés, les épaules tombant sous le poids de l’accablement.
Reilly interrogea Ertugrul du regard.
— Le père Alexios. C’était le grand archimandrite de la bibliothèque. Une balle, entre les deux yeux.
— Ils ont également trouvé le corps d’un prêtre, un peu plus bas dans la rue, ajouta Tess.
— Sans sa soutane, déduisit Reilly.
Tess hocha la tête.
— Et l’incendie ?
— Les pompiers l’ont éteint, mais la bibliothèque est dans un état
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