La Marquis de Loc-Ronan
immédiate du frère de Philippe de Loc-Ronan.
Marcof avait pris une plume et allait la tremper dans l’encrier ; l’accomplissement de cet acte si simple allait peut-être lui coûter la vie… Par bonheur, le tapis ne couvrait pas toute l’étendue du plancher de la pièce ; un craquement d’une feuille du parquet sur lequel Carfor posa le pied, cependant avec une précaution extrême, rappela le marin à la situation présente. D’un seul bond il fut debout, et sa main saisit la crosse d’un pistolet. Pinard vit le geste, le comprit à merveille, et revint sur ses pas en affectant une tranquillité d’esprit qui était loin de son âme. Carrier n’avait rien vu, rien deviné ; il songeait à Fougueray qui manquait l’heure du rendez-vous, et dont il cherchait à s’expliquer l’absence.
– Eh bien ? fit-il en voyant Marcof se lever.
– Je ne sais pas écrire, dit le marin. Que Pinard prenne la plume.
Et, s’approchant du sans-culotte, il lui passa familièrement la main sur l’épaule gauche, et appuya son doigt légèrement sur la naissance du cou. Pinard devint pâle comme un linceul, tout son corps frissonna convulsivement, et il se précipita vers le fauteuil placé devant le bureau.
– Je suis prêt ! dit-il en attirant fiévreusement à lui la feuille de papier que Marcof avait repoussée. Que faut-il écrire ?
– L’ordre de nous laisser entrer dans les prisons sur l’heure.
Pinard traça rapidement quelques lignes et passa l’ordre préparé et la plume au citoyen représentant. Carrier prit l’un et l’autre et se pencha pour signer. Mais relevant la tête.
– À propos, dit-il en s’adressant à Marcof qui avait repris le bras de Pinard ; à propos, citoyen, quels sont les noms de ceux que tu veux avoir ?
– Qu’est-ce que cela te fait ? répondit le marin, que toutes ces lenteurs commençaient singulièrement à impatienter.
– Cela fait beaucoup, attendu qu’il y a certain prisonnier que je ne dois et ne puis livrer. Le bien de la République avant tout.
– Oh ! ceux-là n’intéressent guère le salut de la République ! Il s’agit d’un ci-devant domestique d’un ci-devant noble.
– Un domestique seul ?
– Non ; lui et son compagnon.
– Et comment les nommes-tu ?
– Je ne sais pas sous quel nom le dernier a été écroué ; mais le premier se nomme Jocelyn.
– Jocelyn ! reprit Carrier en se redressant et en lâchant la plume.
– Eh bien oui, Jocelyn ! dit Marcof étonné de l’accent avec lequel le proconsul venait de répéter le nom du vieux serviteur.
– Oh ! oh ! fit Carrier, cela demande réflexion alors.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il me plaît de réfléchir.
– Mais il ne me plaît pas d’attendre, à moi ! s’écria Marcof qui sentait qu’il allait bientôt ne plus être maître de lui-même.
– Plaît-il ? fit Carrier en relevant le front avec insolence.
En ce moment la porte s’ouvrit doucement.
– Qu’est-ce ? demanda Carrier à une sorte de valet qui parut timidement sur le seuil.
– Citoyen, répondit le pauvre diable, c’est le souper.
– Eh bien, le souper ?
– Il est prêt…
– À table, alors ! s’écria le proconsul avec une joie manifeste ; à table !
– Et cet ordre ? signe-le donc ! dit Marcof en se contenant à peine.
– Quel ordre ?
– Tonnerre ! celui que je te demande, et qu’il faut que tu me donnes.
– Après souper, citoyen !…
– Cependant…
– Allons, à table ! Tu m’as tout l’air d’un bon patriote. Soupons ensemble, et ensuite tu prendras tous les aristocrates que tu voudras. Ce sera de la besogne toute faite. Viens donc, les amis nous attendent.
Marcof dévora son impatience. Il sentait, à n’en pas douter, qu’un éclat perdrait non seulement lui, mais encore Philippe. Carrier l’avait pris par le bras et s’efforçait de l’entraîner.
Le marin n’hésita plus. Se dégageant doucement, il saisit la main de Pinard qu’il voulait avoir toujours à sa portée ; et s’adressant à Carrier :
– Eh bien ! répondit-il, soupons ensemble et nous verrons si tu sais boire !
Puis se penchant à l’oreille de Pinard, tandis que le proconsul ouvrait la porte communiquant avec le salon :
– Garde à toi ! murmura-t-il ; nous mourrons ensemble si je dois mourir ! Il faut griser Carrier, et lui faire signer ce que je voudrai qu’il signe.
Une inspiration subite venait de traverser
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