La Marquis de Loc-Ronan
laisser mourir lentement d’épuisement et de faim. Il voyait, comme dans un rêve fantastique, défiler devant lui toutes les effrayantes angoisses de l’homme condamné à une semblable mort. Bâillonné étroitement, il ne pouvait articuler un son, et tout espoir d’être secouru était bien perdu pour lui. Cependant, de temps à autre, semblable au noyé qui se raccroche à une branche frêle et délicate, et croit trouver un moyen de salut, Diégo se reprenait à songer à Pinard.
– Il est libre, pensait-il ; il rentrera à Nantes ce soir ; il viendra ici et il me délivrera.
Puis une autre réflexion venait anéantir cette suprême espérance.
– Carrier le fera disparaître. Il sera arrêté et noyé ce soir peut-être ; et c’est de moi qu’est née cette inspiration ! Oh ! tous mes plans détruits, tout mon avenir brisé par un hasard fatal. Maudite soit cette passion inspirée par Yvonne ! Maudite soit la pensée qui m’est venue de me servir d’elle ! Qu’avais-je donc besoin de rentrer dans cette maison ? Y a-t-il donc un Dieu pour guider ainsi nos pas en dépit de nous-mêmes ? Un Dieu ! reprit-il en frémissant ; un Dieu ! Oh ! non ! non ! Je ne veux pas y croire ! Un Dieu ! une justice ! une autre vie ! Je souffrirais trop ! Cela n’est pas ! cela n’est pas !
Et l’œil de l’ancien bandit calabrais, se relevant vers le ciel, semblait lui jeter un regard de menace et de défi. Le marquis de Loc-Ronan commençait à être vengé des supplices que lui avait infligés son bourreau.
Bientôt, à l’épuisement causé par la perte du sang, se joignirent les hallucinations provoquées par la fièvre. Diégo vit alors passer sous ses yeux, qui se fermaient en vain pour ne pas regarder, le panorama de sa vie antérieure, et le cortège de ses victimes.
À chaque crime, à chaque meurtre commis dans les Abruzzes, l’Italien poussait un blasphème nouveau espérant conjurer ces apparitions sinistres ; mais la justice divine, niée par cette âme dépravée, semblait s’acharner à une juste vengeance. Diégo ne se vit délivré de cette sorte de revue rétrospective que pour retomber dans les angoisses du présent. Ce fut en ce moment qu’un bruit extérieur le fit tressaillir. L’espérance et la crainte se succédèrent dans sa pensée, et son esprit tendu passa, en quelques secondes, par toutes les nuances énervantes de l’inquiétude et de l’anxiété.
– Est-ce Pinard ? se disait-il. Est-ce l’homme qui m’a blessé ? est-ce la délivrance ? est-ce la mort ?
Cependant Yvonne aussi avait entendu le bruit qui avait ému l’Italien. Elle se redressa vivement, et vit devant elle Keinec et Boishardy. La jeune fille tendit la main à son sauveur, tandis que le chef royaliste la contemplait en souriant avec bonté.
– C’est-elle, n’est-ce pas, Keinec ? demanda-t-il en désignant Yvonne.
– Oui, monsieur le comte, répondit le jeune homme.
Et se tournant vers Yvonne, il ajouta :
– C’est M. de Boishardy. Sans lui et sans Marcof, je ne te sauvais pas. Ils ont fait plus que moi, car, sans leur secours, je ne serais pas à Nantes, et tu serais la victime de ce misérable.
La jeune fille voulut s’incliner sur la main du chef ; mais le gentilhomme, l’attirant doucement à lui, déposa un baiser sur son front pâli.
– Pauvre enfant ! murmura-t-il, vous avez bien souffert !
– Hélas ! monseigneur, j’ai été folle !
– Oh ! les monstres ! fit Boishardy avec une colère sourde. Enfin, mon enfant, vous êtes sauvée maintenant, et désormais vous aurez de braves cœurs pour vous défendre. Keinec et Jahoua seront les premiers ; mais je viendrai ensuite si vous le voulez bien. Pauvre Jahoua ! il doit maudire deux fois sa blessure qui l’a contraint à rester au placis.
En entendant prononcer le nom du fermier, Yvonne rougit subitement, et Keinec sentit les mains de la jeune fille frissonner dans les siennes. Une émotion terrible agita le brave gars. Ses yeux se voilèrent et il devint d’une pâleur extrême.
– Elle l’aime toujours ! pensa-t-il.
Puis une révolution subite sembla s’accomplir dans son âme, et une douceur ineffable remplaça peu à peu l’expression de haine qui avait envahi ses traits.
– Elle l’aime ! se dit-il encore. Il faut qu’elle soit heureuse ! Mon Dieu ! permettez que je sois tué cette nuit !
Boishardy se mordait les lèvres. Le gentilhomme avait compris ce qui
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