La Marquis de Loc-Ronan
ordinaire, et se voit abandonnée pour de plus jeunes ; mais comme ces femmes aimables sur le retour, qui savent encore attirer près d’elles un cercle d’amis fidèles et de jeunes gens intelligents, Nantes ne sait pas et ne saura jamais ce que c’est que la triste solitude.
L’époque de la fondation de Nantes est à peu près inconnue. Entrepôt des métaux de l’Armorique et de la Grande-Bretagne, sous la domination romaine, elle acquit rapidement une importance véritable. Longtemps subsista près de la porte Saint-Pierre un monument qui attesta cette prospérité : c’était une salle voûtée, longue de cinquante pieds, large de vingt-cinq, qui pouvait avoir été une bourse ou un tribunal de commerce.
Nantes florissait lorsque l’invasion des barbares vint sécher dans sa source cette prospérité radieuse. Rattachée à la Bretagne sous Clovis, ramenée sous le joug des Francs sous Clotaire, elle finit par recevoir le gouvernement d’un évêque, Félix, que Grégoire de Tours a chargé d’anathèmes, et que les Nantais révèrent encore. Félix commença cette série d’évêques qui devaient exercer longtemps dans la ville de la souveraineté temporelle. Homme intelligent et instruit, Félix fut le bienfaiteur du pays. L’Erdre se répandait en marais, il l’endigua. Nantes était à quelques lieues de la Loire, au confluent de l’Erdre et du Seil, il amena, par des travaux gigantesques, la Loire dans la ville même, de sorte que Nantes se trouva baignée désormais par trois cours d’eau, dont un grand fleuve.
« C’est votre génie, Félix, écrivait à l’évêque le poète Fortunat, lors du deuxième concile de Tours, c’est votre génie qui, leur donnant un meilleur cours, force les fleuves à couler dans un nouveau lit. Ô Félix ! que vous devez être habile à diriger la mobilité des hommes, vous qui avez su soumettre à vos lois des torrents rapides !… »
En 568, Félix fit à Nantes la dédicace d’une cathédrale commencée par son prédécesseur Evhémère, à la place même où s’élève la cathédrale actuelle. La conversion des Saxons du Croisic inaugura la nouvelle maison de Dieu, « dont le vaisseau estoit si superbe en sa structure, dit le P. Albert, et si riche en ornemens et parures, qu’il ne s’en trouvoit pas de pareil en France. »
Comme on le voit, le clergé nantais était riche. Nantes reprenait toute sa prospérité première, et un miracle accompli à ses portes l’avait consacrée en lui donnant un rang distingué parmi les villes chrétiennes.
Un jour deux hommes se rendaient de compagnie au couvent de Vertou. Ces hommes étaient accompagnés d’un âne portant leurs bagages. L’un d’eux, nommé Martin, s’éloigna, recommandant à l’autre la garde de l’animal. Or, le compagnon, accablé de fatigue, s’endormit si bel et si bien, qu’il n’entendit pas, durant son sommeil, un ours gigantesque venir faire son déjeuner du pauvre âne, lequel dut cependant ne pas se laisser avaler sans essayer de pousser quelques plaintes. Mais, soit que le dormeur eût l’oreille dure, soit qu’il eût un sommeil semblable à celui de ce prince allemand qui ne se réveillait qu’au bruit d’une batterie d’artillerie tonnant à la porte de sa chambre, toujours fut-il qu’il n’ouvrit les yeux que pour voir l’ours s’en aller bien tranquillement faire sa digestion du côté du fleuve. Le malheureux, désespéré, ne savait que dire à son compagnon, lorsque Martin fut de retour. Heureusement l’ours avait respecté les bagages. Martin, sans plus s’embarrasser de la situation, appela l’ours, et lui commanda de porter les objets pesants qui gisaient sur le chemin. L’animal accourut, et se prêta de si bonne grâce à la circonstance, qu’il accompagna les deux amis, dont l’un tremblait de tous ses membres, jusqu’à la porte du couvent. Grandes furent la stupéfaction et l’admiration des moines qui, en voyant ce miracle, ne purent faire autrement que de reconnaître pour un saint l’homme qui possédait une telle puissance sur les bêtes féroces. Donc, Martin devint saint Martin, se vit fêté et vénéré dans la contrée, et transforma le couvent en abbaye.
Grâce à ses évêques, qui la gouvernaient sagement, à sa situation éminemment favorable qui faisait d’elle un des marchés où les Francs rencontraient les Bas-Bretons, Nantes voyait s’accroître de jour en jour sa richesse, son commerce et sa population.
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