La Marquis de Loc-Ronan
pouvoir parvenir jusqu’à eux ; mais il me fallait pour réussir l’aide de bras vigoureux. Ce fut alors que je vins vous trouver.
– Il y a quinze jours, interrompit Boishardy.
– Oui.
– Vous ne m’avez cependant parlé de rien.
– Parce qu’en arrivant je reçus la nouvelle que le château d’Aux avait été évacué, et que les prisonniers qu’il renfermait avaient été incarcérés dans les prisons de la ville. Il me fallait retourner à Nantes et je le fis. Cette fois je fus plus malheureux encore, car je ne rapportai aucun renseignement positif.
– Vous ne savez pas ce qu’est devenu Philippe alors ?
– Je sais qu’il existe encore, voilà tout.
– En êtes-vous certain ?
– Oui. J’ai pu voir les listes des accusés et la date de leurs jugements. Philippe passera devant le tribunal le 26 décembre. Or, vous savez que l’exécution suit de près la condamnation.
– Donc, il faut le sauver avant cette époque, interrompit Boishardy. Eh bien ! mon cher, nous ferons humainement ce que trois hommes peuvent faire, et si Dieu est pour nous, nous réussirons.
À trois heures du matin, au moment où l’on venait de relever les sentinelles, trois hommes sortaient de l’humble demeure de Boishardy. D’eux d’entre eux étaient enveloppés dans de vastes manteaux, précaution que justifiait la neige abondante qui tombait et la rigueur de la saison. Celui qui marchait en avant de ceux-ci, bravant le froid de la nuit, était Keinec, Marcof et Boishardy le suivaient.
Pour que leur absence fût complètement ignorée des paysans du placis, le chef royaliste avait donné le mot de passe à Keinec, qui éclairait la route et avertissait les sentinelles nombreuses veillant autour du campement ; de sorte que Boishardy n’avait pas besoin de se nommer ni de se faire reconnaître.
Après avoir franchi la dernière ligne, les trois hommes atteignirent un carrefour au milieu duquel Fleur-de-Chêne avait conduit trois chevaux sellés et bridés. Les trois royalistes s’élancèrent d’un même mouvement. Boishardy se pencha vers Fleur-de-Chêne, lui donna ses dernières instructions et piqua sa monture.
– En avant ! murmura Marcof.
Presque aussitôt les cavaliers disparurent dans les ténèbres de la nuit, que les branches noueuses des chênes, entrelacées au-dessus de leurs têtes, faisaient plus épaisses encore.
VI – NANTES
Il en est du sort des villes comme de celui des hommes. Pour celles-ci comme pour ceux-là le destin se montre clément ou cruel ; envers les unes comme envers les autres, il est favorable ou néfaste, les conduisant de la naissance à la mort, de l’érection à la ruine, soit par une route dorée, toute parsemée de joies et de bonheur, soit par un chemin escarpé et difficile, constamment bordé de ronces et de précipices.
De même que certains hommes, nés sous une heureuse étoile, voient les obstacles s’aplanir sous leurs pas et arrivent à la prospérité suprême en compagnie de la santé, de la beauté et de la richesse, de même certaines cités, toujours florissantes, profitent des événements heureux, des circonstances favorables ; et jolies, riantes, situées pittoresquement, bien solides sur leurs fondations, atteignent un renom illustre qui fait accourir dans leur sein les populations étrangères.
Pour d’autres, le contraire existe. Que de villes pauvres, malingres, rachitiques, déshéritées de la nature et du hasard ! Combien d’autres voient leur avenir constamment assombri, leur prospérité d’un jour devenir misère, les calamités sans nombre s’abattre sur elles !
Parmi ces dernières, ces villes martyres, il en est peu en France qui aient subi des vicissitudes aussi nombreuses que la vieille capitale de la Bretagne.
Nantes était née non seulement viable, mais encore vigoureusement constituée. Son enfance fut belle, et elle atteignit l’adolescence sous les auspices les plus brillants. Puis tout à coup l’enfant bien portant devint débile : la guerre, le partage, l’incendie, ces terribles maladies des villes, rendirent sa jeunesse sombre et triste. L’âge mûr la vit puissante, vivace, supportant résolument les terribles secousses des fléaux qui fondirent sur elle ; souffrante un jour, convalescente le lendemain, en pleine santé la semaine suivante, il fallut l’épidémie révolutionnaire pour lui porter un coup dont elle ne put se relever. Vieille, maintenant, elle subit le sort
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