La Marquise de Pompadour
publiques…
C’était une seigneuriale demeure aux lignes académiques, aux immenses escaliers de pierre grise, qui portait sur sa face majestueuse et sévère ce cachet de froide tristesse particulier au déclin du grand règne.
Louis XIV avait fait bâtir cet hôtel près de son Louvre ; et son ombre, glorieuse pour d’aucuns, honnie par tant d’autres, semblait y errer encore, le soir, parmi les meubles somptueux et lourds des vastes salons tendus de soies vieillies.
Et en face, antithèse pétrifiée, page d’histoire que le doigt de la fatalité avait soudain tournée du feuillet sinistre au feuillet orgiaque… parfaite expression de ce souper d’allégresse, de cette réaction de plaisir qu’avait été la Régence… en face de l’hôtel silencieux, comme voilé d’un crêpe, se dressait un logis coquet, musqué, fardé, avec ses balcons de fer forgé à volutes capricieuses, son style bâtard empêtré d’astragales, ses fenêtres à festons, d’où s’échappaient des murmures de rires et s’envolaient des arpèges de clavecin.
C’est là que, depuis six mois, habitait M me Poisson, figure à demi grotesque, à demi tragique… devenue très moderne.
C’est là qu’habitait « sa fille », figure de sylphe dont Paris s’enamourait, figure de grâce et de charme, fleur énigmatique poussée à l’ombre de ce champignon – vénéneux peut-être ! – qu’était la matrone au sourire blafard.
Au premier étage de ce logis, c’était une longue pièce éclairée par quatre fenêtres, que Jeanne-Antoinette appelait son atelier. Nous la retrouvons là, étendue sur un divan, à l’heure où François Damiens entrait à l’hôtel d’Argenson…
Assis devant un grand chevalet d’ébène, un homme d’une quarantaine d’années, au front intelligent, aux mains fines surgissant des dentelles précieuses de ses manches, à la tournure élégante, au sourire sceptique, faisait la critique d’un tableau.
Cet homme, c’était le maître François Boucher, qui l’année précédente avait exposé son chef-d’œuvre, le
Bain de Diane,
et à qui l’admiration des parisiens venait de décerner le surnom de « Peintre des Grâces ».
Dans un angle, la frêle M me du Hausset esquissait sur un clavecin en marqueterie, incrusté d’ivoires précieux, et que Boule avait signé, les mélancoliques reprises d’un menuet aux notations graciles et discrètes.
Et c’est sur cet air de menuet, qui semble l’accompagner en sourdine, que Jeanne, devant son maître et ami, égrène les fugitives pensées qu’elle laisse tomber sans ordre… dans un désordre charmant !
– Je m’ennuie, maître, il y a dans ce petit cœur qui bat, là, sous cette guimpe, trop de joies… oui, trop de joies… et trop de tristesses… Ah ! cela vous étonne !… Vous me parlez de ma peinture… et en exquis compagnon que vous êtes, en raffiné de politesse, vous me dites du bien de mon pinceau… Ah ! qui donc dira du bien à mon cœur… à mon pauvre cœur !… Ma peinture ? Croyez-vous vraiment que je l’estime ? Est-ce qu’une femme sait faire autre chose qu’aimer… et souffrir ?
– Vous êtes dans vos jours noirs, sourit le peintre, en travaillant.
– Je suis dans mes jours où j’étouffe… Connaissez-vous M me Lebon ?…
– La chiromancienne, nécromancienne, cartomancienne, marcomancienne, celle qui exerce tous les métiers rimant à païenne ?… Une folle dangereuse…
– Folle ? Ecoutez… il y a quinze jours elle vint ici et me prédit que je serais presque souveraine…
Elle eut ce mot : demi-reine ! Pourquoi
presque ?…
Pourquoi
demi ?…
– Vous voyez bien qu’elle est folle, chère amie, puisque vous êtes très souveraine par la beauté, tout à fait reine par l’esprit…
– Oh ! vous aussi ! Des fadeurs, des fadaises qui m’assomment quand elles ne m’outragent pas ! Voilà ce que je trouve chez tous ces fats, freluquets et roués qui viennent papillonner ici… Je m’ennuie, maître ! Et pourtant, je devrais être heureuse… infiniment heureuse… après ce qui m’est arrivé hier…
– Eh bien, Louise ! Pourquoi t’arrêtes-tu ?… Il est charmant, ce menuet. De qui ?…
– De Lulli, répondit M me du Hausset en reprenant une figure de menuet qui, de nouveau, jeta dans le salon la mélancolie de ses notations grêles et tendres.
– Tout ce qui est ici, que j’aimais tant, me pèse à présent, continuait
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