La Marquise de Pompadour
informer dans la joie de mon cœur que j’ai pu lever les dernières formalités qui retardaient mon bonheur, et que M. l’abbé de Saint-Sorlin, curé doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois, nous attend demain pour bénir notre union, sur le coup de midi, devant Dieu et les hommes…
Jeanne jeta un cri de terreur et d’angoisse.
Les yeux vitreux de M. d’Etioles dardèrent un regard de menace qui s’éteignit aussitôt.
– Qu’avez-vous, cousine ? s’écria-t-il. Oh ! j’aurais dû vous préparer à ce bonheur, n’est-ce pas !… Que voulez-vous… l’amour est imprudent… et moi je suis imprudent jusqu’à la folie…
– Demain ! répéta Jeanne atterrée, en tordant ses belles mains dans un geste inconscient.
– Demain ! C’est charmant, n’est-ce pas ?…
– Je pensais… je croyais… que… deux mois au moins… étaient nécessaires… balbutiait la jeune fille.
– Cela m’a coûté quelques milliers d’écus… mais l’Eglise est bonne mère après tout…
– Mais, monsieur, laissez-moi le temps de prévenir mon…
–
Mon oncle !
interrompit M. d’Etioles au moment un autre mot allait s’échapper de la bouche de Jeanne. Ce digne oncle ! Notre cher oncle !… Il sait tout…
– Et il approuve ? demanda avidement Jeanne qui, peu à peu, se remettait.
– Des deux mains ! répondit d’Etioles.
– Je ne suis pas prête… essaya de résister encore la jeune fille.
– Bah ! Vous avez tout près de vingt-quatre heures pour habituer votre esprit à la sainte cérémonie à laquelle votre cœur se prépare depuis un mois… Tantôt, M me Céleste Lemercier, la grande habilleuse de la cour, vous apportera votre blanche toilette… Nos amis sont prévenus… Rien ne s’oppose donc…
– Rien ! prononça Jeanne avec un désespoir qui eut attendri un tigre.
Mais M. d’Etioles était plus et mieux qu’un tigre : il sourit.
Il y eut entre ces deux êtres une minute de silence effrayant… elle, se débattant en une sorte d’agonie ; lui, la couvant de ses yeux impitoyables.
Enfin, une révolte monta en elle, de son cœur à ses lèvres, et comme il essayait de prendre sa main, elle se recula, toute frissonnante, et, d’une voix saccadée, fiévreuse :
– Ecoutez-moi, monsieur… laissez-moi parler sans m’interrompre… Ce que vous dites est impossible… Appelez-moi parjure, dites ce que vous voudrez… mais cela ne sera pas… Oui, c’est vrai… il y a un mois, je vous ai dit que je consentais… mais vous le savez… oh ! je lis dans vos yeux que vous le savez… je ne vous ai dit oui que dans un moment de terreur folle… Faut-il vous rappeler cette abominable soirée où je sentis un affreux désespoir m’envahir ?…
Elle éclata en sanglots, et ce fut ainsi, toute pantelante, qu’elle continua :
– Oui, le désespoir !… Je voyais autour de moi des regards insolents… on me chuchotait des choses hideuses… pour la première fois, je compris l’épouvante de ma destinée… je vis clairement ce que voulaient ces hommes qui venaient ici sous prétexte de musique et de poésie… Seule ! Seule au monde, j’eus peur… je me sentis lentement poussée à un abîme… je tremblai… je pleurai… et lorsque je vous vis, vous, mon seul parent, je me dis que vous pouviez me sauver… Et lorsque vous me dites que nul n’oserait insulter d’un regard celle qui porterait votre nom, je songeai à ce mariage… comme on songe à la claustration… et je dis oui !
– Et depuis lors, qu’y a-t-il de changé ? demanda froidement d’Etioles. Aujourd’hui, comme alors n’avez-vous pas près de vous votre excellente mère… cette chère M me Poisson ?…
– Aujourd’hui, monsieur, il y a ceci de changé que… M. de Tournehem est de retour… et lui me protégera !…
– Eh quoi ! l’oncle aurait donc supplanté le neveu !… ricana d’Etioles.
Jeanne se leva, le front empourpré. Une incroyable dignité se répandit sur son visage.
– Monsieur, dit-elle, je vous préviens que vous blasphémez. Puissiez-vous ignorer toujours ce qu’il y a d’odieux dans les paroles que vous venez de prononcer…
L’œil vitreux lança un éclair.
– Bref ! vous me renvoyez !… Ce brave petit cousin était bon il y a un mois. Maintenant, on le jette dehors comme un faquin !…
– Pardonnez-moi, Henri, reprit Jeanne, avec une ineffable douceur. Je ne vous renvoie pas. Je vous supplie, au contraire,
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