La Marquise de Pompadour
rire… un rire sinistre et funèbre qui glaça Juliette. Le digne galant veut tirer son épée pour me faire honneur. Mais comme par hasard, il tombe sur la pointe de mon poignard, se blesse au sein, et meurt… Alors voici le plus beau…
– Voyons ? fit Juliette en frissonnant.
Du Barry, le visage décomposé par la haine, continua :
– Alors, des gens de bonne volonté, – il s’en trouve toujours – courent chercher la maréchaussée. On accourt On trouve le cadavre à la porte de la d’Etioles qui se trouve justement avoir insulté aussi l’honnête homme dont je vous parlais…
– C’est-à-dire vous…
– Moi ou un autre, peu importe. La petite d’Etioles est désignée comme la meurtrière. On l’arrête. On lui fait son procès. Vingt jeunes gens viennent témoigner qu’elle les a attirés ici pour des parties de débauche et qu’elle a ensuite tenté de les poignarder, comme on dit que faisait jadis Marguerite de Bourgogne pour ses amants d’une nuit… Ces dignes jeunes gens n’ont pas voulu dénoncer une femme. Mais puisqu’elle est prise, puisqu’elle a tué un pauvre gentilhomme, ils n’hésitent plus… La d’Etioles est condamnée, exécutée… et vous demeurez seule maîtresse de la situation… Est-ce beau !…
– Horrible ! horrible ! murmura en elle-même Juliette Bécu qui, à haute voix, ajouta :
– C’est charmant… Et c’est vous qui avez combiné tout ce superbe plan ?
– En partie, répondit du Barry d’une voix sombre. Dans la partie qui concerne l’honnête homme insulté, j’ai en effet donné quelques idées…
Un lourd silence pesa pendant de longues minutes dans l’élégant salon-boudoir.
Juliette frissonnait et contemplait avec épouvante son compagnon.
Du Barry, pensif, fixait ses yeux durs sur le feu, tandis qu’un sourire livide crispait ses lèvres.
– Oui, répondit le comte, tout cela se fera. Tout est prévu, combiné. Ni le roi… ni elle… ni lui ! lui surtout ! ne peuvent nous échapper.
– Et quand la chose doit-elle se faire ?…
– Cela dépend maintenant de Bernis…
– Bernis ?… Ce petit poète ?…
– Ce grand homme, fit du Barry sans qu’on pût savoir positivement si sa parole exprimait de l’admiration ou du mépris.
– Et que vient faire en tout ceci Bernis ? demanda Juliette. Je ne lui ai parlé que deux fois ; il me fait l’effet d’un écervelé… Je voudrais bien savoir…
– Hum ! fit du Barry en jetant un regard aigu sur la fille galante. Vous en voulez trop savoir, ma chère…
Juliette tressaillit, mais déguisa son émotion sous un geste d’indifférence.
– Nous jouons ici la tragédie, reprit du Barry. Bernis a son rôle, j’ai le mien, vous avez le vôtre. Croyez-moi, vous serez une détestable comédienne si vous cherchez à connaître la réplique de vos partenaires au lieu de songer à la vôtre…
– C’est vrai… cependant, mon cher, puisque nous sommes associés, je serais bien aise de connaître votre sentiment sur l’homme qui nous mène, ou, pour continuer votre comparaison, sur le metteur en scène qui nous indique nos gestes.
– M. Jacques ?…
– Oui ! Qui est-il ? Où va-t-il ? Que veut-il ? Comment s’appelle-t-il ?
– M. Jacques s’appelle M. Jacques, dit du Barry d’une voix qui fit frissonner Juliette. Qui il est ? Je l’ignore. Ce qu’il veut ? Je ne le sais pas plus que vous. Je sais seulement qu’il paie royalement, je sais qu’il m’inspire une admiration et une terreur sans bornes ; je sais que j’aimerais mieux braver en face le roi, au milieu de sa cour, plutôt que de me heurter à un pareil homme. Il sait tout. Il voit tout. Il entend tout. Il a ses agents jusque dans les antichambres du Louvre. Rien ne lui échappe. Voilà tout ce que je sais. Et pour une fortune, je ne voudrais pas entreprendre de deviner ce qu’il lui plaît de nous cacher… Si vous êtes intelligente, vous ferez comme moi.
Cette fois, du Barry parlait avec une évidente sincérité.
Juliette Bécu, profondément troublée de cette terreur qu’elle voyait chez son redoutable compagnon, n’osa pas insister.
– Quoi qu’il en soit, reprit-elle pour détourner les soupçons qu’elle craignait d’avoir éveillés dans l’esprit de du Barry, M. Jacques se conduit avec moi en vrai galant homme… Cette demeure… cette prison qu’il m’assigne, est une véritable bonbonnière. Tout y est d’un goût charmant. Et
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