La Marquise de Pompadour
fille de vingt-deux ans, très fine, très exercée à tout comprendre à demi-mot, d’une discrétion à toute épreuve, et enfin très apte aux fonctions qui lui étaient dévolues.
Bernis l’avait peinte d’un mot : une fine mouche.
Suzon, comme tout être vivant au monde, avait son idéal.
C’était une rusée commère à demi-Normande, à demi-Picarde, – le grand La Fontaine eût dit : Normande à demi.
Elle avait un bon sens pratique et une façon d’envisager la vie qui lui faisait un peu mépriser et pas du tout envier ce qui l’entourait. Elle avait résolu de vivre heureuse, à sa guise, et n’avait pas tardé à comprendre tout ce que la vie des grands cache de misère morale et de servitude.
Qu’on n’aille pas en conclure à une certaine fierté de caractère.
Suzon était une jolie matoise, voilà tout.
Et quant à son idéal que nous avons promis d’exposer, nous allons l’entendre développer par elle-même.
Dès le lendemain du jour où Jeanne était entrée dans la maison, Bernis, comme on l’a vu, s’était mis en campagne en allant trouver le chevalier d’Assas à l’auberge des
Trois-Dauphins.
–
Voilà la première partie de mon œuvre, se dit-il quand il fut rentré au château. Reste la deuxième, la plus difficile, qui est de pénétrer dans la maison et de séduire la jolie Suzon.
Bernis, qui était surtout homme de comédie et d’intrigue, était prodigieusement intéressé par ce qu’il allait entreprendre.
En somme, il avait mission de se mettre au mieux avec Suzon et de lui faire certaines propositions que lui avait fort clairement exposées M. Jacques : il fallait tout simplement amener Suzon à trahir le roi et Berryer.
– Le roi ? passe encore ! songeait le poète-abbé ; mais le lieutenant de police ? Hum ! Ce sera difficile.
Le lendemain, donc, il s’en vint rôder autour de la maison, en plein jour.
Pendant deux heures, il ne vit rien.
Les volets étaient clos.
La maison paraissait abandonnée.
Mais la grande qualité de Bernis était la patience.
Il patienta comme le chasseur à l’affût.
Et sa constance fut enfin récompensée : sans doute, s’il n’avait rien vu, on l’avait vu, lui, de l’intérieur. Car à un moment donné, l’une des fenêtres du premier étage s’ouvrit, comme si on eût voulu aérer une pièce, et Suzon parut, mais elle ne sembla nullement avoir aperçu Bernis.
Celui-ci n’hésita pas. Il fit rapidement quelques pas en avant, et de son bras valide (il avait toujours le gauche en écharpe), il fit un signe, puis envoya un baiser.
Suzon eut un éclat de rire et referma la fenêtre.
Mais elle avait vu Bernis ! Elle avait vu qu’il était blessé ! Et bien qu’elle ne fût pas d’une sensibilité excessive, elle ne put s’empêcher de tressaillir… Peut-être Bernis avait-il compté un peu sur l’impression que produirait sa blessure : un bras en écharpe étant toujours une chose intéressante pour les femmes, ces douces créatures qui, au fond, ne rêvent que plaies et bosses et sont toujours enchantées d’un récit de bataille. Bien entendu, c’est l’opinion de Bernis que nous donnons là. Quant à la nôtre, nous supposons que nos lectrices n’en ont que faire.
Bernis, donc, une fois son baiser décoché, continua à errer d’un air très malheureux autour de la maison.
– Peste soit de la donzelle ! maugréait-il. Je lui envoie un baiser que la spirituelle M me de Rohan eût trouvé admirablement coquet, et elle me rit au nez ! Est-ce que je serais moins avancé dans ses bonnes grâces que je ne le supposais ?…
Le soir vint. Les ombres enveloppèrent peu à peu le quinconce sous lequel errait le triste Bernis.
Il faisait froid. Un âpre vent du Nord faisait grelotter les branches dépouillées. Et Bernis grelottait lui-même.
Il jeta un dernier regard à la maison, en murmurant :
– Demain, je lancerai un billet. J’ai pris contact avec l’ennemi. C’est suffisant pour une première journée.
Et il allait se retirer, lorsque, tout à coup, la porte s’entr’ouvrit et se referma aussitôt, après avoir livré passage à une femme encapuchonnée jusqu’au nez. Peut-être, cependant, cette femme ne prenait-elle pas toutes les précautions nécessaires, car Bernis la reconnut aussitôt : c’était Suzon.
Elle passa à trois pas de lui sans paraître le remarquer.
Bernis, alors, s’approcha, et salua avec autant de galanterie raffinée que s’il se
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