La Marquise de Pompadour
l’angle nord de cette place, devant un hôtel de grand style. Les valets sautèrent de leur place et ouvrirent la portière.
Deux minutes plus tard, le comte de Saint-Germain pénétrait dans un salon d’un luxe étrange par les meubles, par les tentures et par les œuvres d’art, mais dont le principal ornement, aux yeux des curieux bien rares qui étaient admis à y pénétrer, était une vitrine renfermant une collection de monstrueuses émeraudes, de perles phénoménales, de diamants, de saphirs, d’opales et de rubis à faire rêver que l’on se trouvait transporté dans quelque palais oriental, aux portes du Guzarate…
Pour un observateur attentif, le comte eût alors perdu ce masque d’impassibilité qu’il avait gardé jusque là.
Un pli soucieux, pour un instant, barra son large front plein d’audace et de volonté…
Il appuya deux fois sur un timbre d’or dont le bouton était constitué par une perle grosse comme une noisette.
Une jeune femme de chambre parut bientôt.
– Madame est-elle chez elle ? demanda le comte.
– Oui, Monseigneur.
– Allez lui demander si elle veut bien me recevoir…
Quelques minutes se passèrent pendant lesquelles Saint-Germain demeura immobile à la même place.
– Madame attend Monseigneur, fit la soubrette en reparaissant.
Le comte, alors, traversa une série de pièces d’une rare somptuosité, dont chacune constituait un musée spécial.
Dans l’une, des statues à profusion ; dans une galerie, des tableaux de maîtres anciens, de toutes les écoles ; dans une autre, des pièces d’orfèvrerie précieuses par le travail plus encore que par la matière…
Il parvint à une sorte de salon oriental où, à demi couchée sur des divans, une femme d’une merveilleuse beauté, âgée au plus de vingt-deux ans, se leva vivement dès qu’il entra…
– Je ne vous dérange pas, ma chère Eva ? fit le comte avec une profonde tendresse.
– Vous, me déranger, mon cher seigneur !… Vous qui êtes mon rayon de lumière, vous dont la présence me fait vivre et palpiter, vous dont l’absence me plonge dans un morne ennui, comme la fleur qui se penche et se dessèche lorsque le soleil se cache !… Pourquoi me dites-vous de ces choses ?…
– Chère enfant !… Oui, j’ai tort… J’ai éprouvé votre amour, et je devrais savoir qu’ici du moins, je suis toujours le bien venu…
– O Georges ! Georges ! murmura la jeune femme. Oui, je vous aime, et je ne serai vraiment heureuse que lorsque nous quitterons ce pays où vous êtes si peu à moi… Me restez-vous au moins pour quelques heures aujourd’hui ?
– Hélas ! chère Eva… je venais au contraire vous prévenir que, selon toutes mes prévisions, je vais être obligé de m’absenter toute la journée et peut-être deux ou trois jours… peut-être plus…
Eva baissa la tête et deux larmes plus belles et plus précieuses que les diamants du comte perlèrent à ses grands cils.
Le comte la saisit dans ses bras.
– Console-toi, mon enfant, dit-il, je m’arrangerai pour que tu ne souffres pas de mon absence…
Il la tint ainsi étroitement enlacée pendant quelques minutes.
La jeune femme palpitait.
Presque soudainement, ces violentes palpitations de son cœur cessèrent et furent remplacées par un mouvement rythmique à peine sensible.
Puis ses yeux se fermèrent, se rouvrirent, parurent lutter contre le sommeil, et se refermèrent tout à fait.
En même temps, cette pose de charmant abandon qu’elle avait dans les bras de Saint-Germain se transformait en une pose raidie ; ses bras, son cou, sa tête, sa taille parurent se pétrifier et s’immobiliser dans une attitude de statue.
Le comte, alors, desserra lentement ses bras.
Eva demeura exactement dans la position où elle se trouvait.
Saint-Germain exécuta devant son visage quelques mouvements lents des deux mains.
Alors ce mouvement léger et rythmique du sein de la jeune femme s’arrêta lui-même, les paupières s’entrouvrirent, et les yeux apparurent convulsés… elle ne bougeait plus…
– Dormez-vous ? demanda Saint-Germain d’une voix changée, non pas dure, mais cette fois dépourvue de tendresse et pleine de forte autorité.
– Oui, maître, répondit la jeune femme.
– Bien. Faites attention. Ecoutez-moi et tendez toutes les forces de votre vision… Connaissez-vous le chevalier d’Assas ?…
– Non, maître… je ne l’ai jamais vu…
– Peu importe.
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