La Marquise de Pompadour
du portail d’Argenson, il vit nettement trois ombres… trois hommes qui, comme lui, paraissaient regarder le petit hôtel Régence.
Oh !… que faisaient là ces hommes ? Qui étaient-ils ? Que voulaient-ils ?… Ah ! sans aucun doute, ils étaient venus pour
elle !…
Une folie jalouse fit monter un flot de sang à la tête du jeune homme…
Jalousie ?… De qui ?… Pourquoi ?… De quel droit ?… Est-ce qu’il savait !
La tête en feu, les tempes battantes, la main crispée sur la poignée de l’épée, il marcha sur les inconnus, et, d’une voix rauque de fureur :
– Holà, gronda-t-il, que faites-vous là ?… Répondez ! ou, sur mon âme…
– Que faites-vous là vous-même ? interrompit une voix sévère, un peu molle et traînante, comme emplie d’un suprême dédain.
La lumière des quatre balcons éclairait en plein les trois inconnus. Comme dans un éclair, le chevalier remarqua qu’ils avaient des épées et que leurs manteaux leur cachaient le visage jusqu’aux yeux.
– Passez au large ! continuait la même voix sur un ton de hauteur qui exaspéra le jeune homme.
– Par la mordieu ! nos épées vont décider qui de nous doit fuir !
En même temps, le chevalier fit un geste pour dégainer. Un brusque mouvement échappa à l’homme qui venait de parler ; dans ce mouvement, son manteau s’ouvrit, et un rayon de lumière frappa son visage.
D’Assas demeura foudroyé ! Rêvait-il ?… Etait-ce possible ?…
Puis il se mit à reculer lentement, éperdu, courbé, répétant dans un murmure haletant :
– Le roi !… Le roi !… Sous ses fenêtres !… Oh !…
A cette même seconde, l’un des trois personnages fit un signe en levant le bras : d’un renfoncement voisin surgit un homme, – bravo ou policier, – et comme d’Assas, angoissé de mille pensées en tumulte, continuait à reculer, il sentit tout à coup un choc violent sur son crâne, quelque chose comme un formidable coup qui venait de lui être porté par derrière.
Il tomba à la renverse, et presque aussitôt perdit connaissance.
– Berryer, dit alors l’homme qui avait parlé avec tant de dédain, allez donc voir qui est ce maître fou…
Celui qu’on venait d’appeler Berryer s’approcha vivement du chevalier et dirigea sur son visage le jet d’une lanterne sourde qu’il sortit de dessous son manteau. Il examina attentivement le jeune homme, comme pour graver ses traits dans sa mémoire. Puis, secouant la tête, il revint au groupe et murmura quelques mots.
– Sans doute quelque cadet de province fit-il en terminant, que faut-il en faire ?…
L’homme dont le manteau s’était écarté un instant aux yeux de d’Assas hésita comme s’il eût cherché l’ordre à donner.
– Bah ! fit-il tout à coup en haussant les épaules, laissez-le où il est. En s’éveillant, il croira avoir rêvé… Retirons-nous, messieurs. Cet incident m’a ôté tout le plaisir que je comptais prendre à cette promenade dans le Paris nocturne… Et puis votre mystérieuse blessure doit vous faire souffrir, comte ?…
– Un gentilhomme en service ne souffre jamais et ignore s’il est blessé, répondit le personnage qui n’avait encore rien dit.
Puis, s’approchant à son tour du chevalier, il le regarda un instant, étouffa un cri de surprise ou plutôt de joie menaçante, et se hâta de rejoindre ses deux compagnons qui déjà s’éloignaient dans la direction du Louvre.
– Ah ! monsieur le lieutenant de police, dit-il alors d’une voix sardonique, il faut que ce soit moi qui répare votre ignorance !…
A mesure qu’ils avançaient, de toutes les encoignures sortaient des ombres qui se mettaient à les suivre à distance : c’étaient les gens de M. le lieutenant de police.
Ce mouvement, ce glissement de larves dans la nuit dura une minute, puis la rue reprit son aspect de solitude noire : tout avait disparu dans la rue Saint-Honoré, tournant à gauche.
– Que voulez-vous dire, monsieur le comte ? s’était écrié Berryer.
– Que je sais le nom de cet homme que Sa Majesté vient d’appeler un maître fou et qui pourrait bien être tout autre chose qu’un fou.
– Expliquez-vous, du Barry ! fit la voix dédaigneuse qui avait parlé au chevalier d’Assas.
Alors il y eut entre les trois hommes un colloque à voix basse, qui dura jusqu’aux portes du Louvre.
Que se dit-il ? quelles insinuations souffla dans l’esprit de ses auditeurs
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