La Marquise de Pompadour
l’hospitalité à ta femme !
– Ah ! s’écria Poisson en s’assénant un coup de poing sur le crâne, jamais je n’eusse trouvé cela à moi tout seul. Ce que c’est que d’être inventeur de pièces de théâtre ! J’y vais !…
Et assurant sa démarche incertaine, Noé s’en fut heurter violemment le marteau de l’hôtel.
L’instant d’après, la porte fut ouverte par un domestique, lequel, reconnaissant le mari de M me Poisson, sa maîtresse, ne fit aucune difficulté pour lui obéir lorsque Noé lui eût expliqué de quoi il s’agissait.
Les trois hommes soulevèrent le chevalier d’Assas et le transportèrent dans l’hôtel dont la porte fut refermée. Moins d’une minute plus tard, la rue des Bons-Enfants était envahie par des ombres silencieuses et rapides qui s’arrêtèrent en groupe devant l’hôtel d’Argenson.
– Envolé ! Disparu ! s’écria avec un juron celui qui paraissait être le chef de cette troupe.
– Voilà qui est curieux, observa une sorte de colosse trapu ; je lui ai pourtant asséné mon coup des grands jours. Quand je frappe ainsi, on en revient qu’au bout de quelques heures… si on en revient !
– Tu auras frappé à côté, maladroit ! Mais poursuivons, nous les rejoindrons peut-être…
La bande des policiers se glissa dans la direction de la place des Victoires, et bientôt s’évanouit au fond des ténèbres comme un vol d’oiseaux de nuit.
Dans l’hôtel, le chevalier avait été déposé sur un canapé assez large pour servir de lit de repos.
C’était dans un petit salon du rez-de-chaussée. Le domestique avait allumé des flambeaux.
Attirée par les allées et venues, M me Poisson apparut à ce moment en peignoir de nuit.
En quelques mots, Crébillon la mit au courant de ce qui venait de se passer.
Elle jeta un coup d’œil sur le chevalier dont la figure pâle apparaissait en pleine lumière.
Cependant, Poisson examinait avec attention cette figure et, tout en se bourrant le nez de tabac, murmurait :
– Où l’ai-je vu ! Mais où l’ai-je donc vu !… Aussi vrai que le vin d’Anjou est supérieur au vin de Champagne, j’ai vu ce jeune homme quelque part, il n’y a pas longtemps… mais où ! mais quand ! mais à quelle occasion !
M me Poisson, de son côté, avait tressailli.
Elle aussi croyait reconnaître le chevalier.
Mais comme ses idées étaient infiniment plus nettes que celles de son digne époux, elle ne tarda pas à s’écrier
in
petto :
– J’y suis !… C’est le jeune chevalier de la clairière qui s’est disputé avec ce grand diable de chasseur… et qui dévorait des yeux la petite !… Oh ! oh !… Il rôde par ici… on le trouve évanoui devant la porte !… Il faut que je tire cette affaire au clair… Un joli garçon… fière mine et bourse plate… Méfions-nous… pas de sottises, ma fille !
Elle saisit Noé Poisson par un bras et, l’entraînant dans un angle du petit salon :
– C’est bon, dit-elle. Je me charge de ce jeune homme… tu peux t’en aller.
– Viens, Crébillon, dit Noé.
– Attends ! reprit M me Poisson. Je pense que tu n’oublies pas la journée de demain ?
– Peste ! je n’aurais garde…
– Sois ici à dix heures du matin. Songes-y, c’est grave !
– On y sera, ma mie, on y sera en grande tenue : je mettrai mon beau gilet vert pomme et mon habit écarlate, ainsi que ma culotte de soie jaune… Ah ! ah !
– Non pas ! fit sèchement la matrone ; tu trouveras ici tout ce qu’il faut pour t’habiller dignement ; on y a songé pour toi… Maintenant, écoute bien ; si tu es ivre demain, tu nous déshonores tous !
– Madame ! protesta Noé.
– Si tu n’es pas ivre, si tu te tiens aussi bien que la circonstance l’exige, tu trouveras dans ton habit de cérémonie mille livres en or… mille ! tu entends ! Tâche de les gagner…
– Mille livres ! s’écria Poisson en écarquillant les yeux. De quoi étancher, deux mois durant, la soif de Crébillon.
– Et la tienne !
– Madame !
– Va… va maintenant… et n’oublie pas !
– Mille livres !… Viens, Crébillon, viens-nous-en, mon ami… viens que je te dise…
Bras dessus bras dessous, les deux compères sortirent de l’hôtel et s’éloignèrent, fraternellement calés l’un contre l’autre. Chose curieuse : on eût dit qu’ils reprenaient leur ivresse où ils l’avaient laissée. L’émotion dissipée, les
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