La Marquise de Pompadour
remerciez pas… Où voulez-vous que je vous conduise ?
Et il poussait le chevalier avec une cordialité qui n’était pas sans surprendre le jeune homme.
Celui-ci finit par donner son adresse, et d’Etioles jeta un ordre au valet de pied :
– Touche aux
Trois Dauphins,
rue Saint-Honoré…
Ce que d’Etioles ne disait pas, ce que le chevalier ne s’expliquait pas, nous avons, nous, le devoir de le dire et de l’expliquer.
Pendant les dix minutes qu’avait duré le combat, d’Etioles n’avait cessé d’examiner le chevalier d’Assas. Il admirait sa souplesse et son sang froid, la merveilleuse agilité de ses parades, la promptitude redoutable de ses attaques. Il admirait surtout l’évidente insouciance, le téméraire courage du jeune homme dont la souriante intrépidité semblait se doubler d’une force de poignet exceptionnelle.
Et des projets, à peine éclos dans l’esprit de Le Normant d’Etioles, se développaient avec la rapidité, la méthode et la volonté qui font la puissance des hommes résolus à parvenir à tout prix, par toutes les voies, au but lointain et ténébreux qu’ils se sont fixé…
Le Normant d’Etioles avait un but dans la vie… lui !
Et ce but devait être quelque chose de formidable ; car, parfois, dans le silence des nuits qu’il passait à rêver et à combiner, cet homme s’épouvantait lui-même.
Lorsque d’Assas toucha son adversaire, la résolution d’Etioles était prise :
– Je suis faible, inhabile aux armes, sans force et sans courage physique. Pourquoi n’aurais-je pas près de moi quelqu’un qui serait fort pour moi, habile pour moi, courageux pour moi ! Tout se paie, même le courage… Moi qui n’ai rien… rien que ma pensée ! j’ai du moins de l’argent pour acheter la bravoure et l’adresse qui me manquent !… Il faut que je m’attache ce jeune homme !
Dans le carrosse, pendant le trajet du Port aux Pierres à la rue Saint-Honoré, d’Etioles s’attacha à inspirer une certaine sympathie au chevalier. Peut-être y réussit-il en partie. L’âme du jeune homme était comme ces merveilleuses lyres qui, suspendues, vibraient au moindre souffle des zéphyrs… Elle vibrait, cette âme, à toutes les affections, à tout ce qui lui apparaissait sincère… Il avait besoin d’aimer, et la pitié que lui inspira la mine souffreteuse de son compagnon fit plus que toutes les avances de ce dernier.
Au moment où le chevalier allait descendre du carrosse, d’Etioles lui prit la main et lui dit :
– Ma foi, mon cher monsieur, je me sens porté vers vous d’affection vive comme si je vous connaissais depuis mon enfance. Laissez-moi donc vous traiter comme un ami…
– Vous m’honorez grandement, monsieur.
– Vous traiter comme un ami, reprit d’Etioles, en vous annonçant une bonne nouvelle… bonne pour moi, tout au moins : je me marie.
– Je vous en félicite, dit sincèrement le chevalier qui jeta un regard de compassion sur la taille déviée de d’Etioles.
– Je me marie, continua celui-ci, et j’épouse la femme la plus spirituelle et la plus jolie de Paris. Ce qu’il y a de remarquable en cette affaire, c’est que ma fiancée m’aime autant que je l’adore…
– Un mariage d’amour !…
– C’est le mot !
– Puissiez-vous être heureux tous deux ! dit le chevalier avec attendrissement.
– J’espère, parbleu, que je le serai ! Et ce, pas plus tard que demain ! s’écria d’Etioles avec un mauvais rire qui causa au chevalier une impression de malaise. Or, donc, puisque nous voilà intimes… car nous sommes intimes… d’honneur, je suis tout vôtre. Si j’étais fort aux armes je vous dirais : Disposez de mon épée… Mais j’ai le malheur de n’être que riche, et je vous dis : Cher ami, disposez de ma bourse…
En parlant ainsi, il examinait attentivement le chevalier. Celui-ci s’inclina froidement.
– Or donc, se hâta de continuer d’Etioles, puisque nous sommes amis, je pense que vous me ferez la joie d’assister à mon mariage qui a lieu demain, sur le coup de midi, à Saint-Germain-l’Auxerrois…
– Très volontiers. Ce me sera un honneur que de signer au registre de la paroisse.
– Touchez là, chevalier ! Je compte sur vous comme sur un de mes amis les plus chers. De vrai, vous m’avez tout séduit, et je considérerais maintenant comme un malheur de vous avoir pour ennemi…
– Espérons donc que nous resterons bons amis ! dit le
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