La Marquise de Pompadour
jette !
M. Jacques, sans répondre, se fouilla et lui tendit un papier. Le chevalier le lut et bondit.
Ce papier, c’était un ordre de mise en liberté immédiate !…
D’Assas poussa ce rauque mugissement qui éclate dans la gorge de l’homme lorsque la joie est trop puissante pour se faire jour tout à coup. Il tendit vaguement les bras à ce sauveur inconnu qui venait d’entrer dans sa prison, lui apportant le double rayon vital de l’amour et de la liberté.
Mais alors, il pâlit soudain… il lui sembla que la figure de ce sauveur prenait subitement de formidables proportions, que, du haut de cette joie imprévue, il était précipité tout à coup dans un abîme de désespoir plus profond… que la porte entr’ouverte de son cachot se refermait à tout jamais !…
En effet, M. Jacques avait repris le papier, l’avait plié, l’avait froidement remis dans sa poche, et il avait dit :
– Maintenant, mon cher ami, asseyez-vous et causons !…
Le chevalier, alors, regarda avec attention cet homme qui lui parlait ainsi, avec une ironie menaçante qu’il démêla aisément, si voilée qu’elle fût sous une froide et glaciale politesse.
M. Jacques paraissait environ cinquante ans. Il était de taille moyenne. Son visage eût semblé insignifiant de modestie bourgeoise à quiconque ne l’eût pas étudié avec la double vue de la philosophie humaine. Son regard, d’habitude terne et presque toujours voilé, par les paupières baissées, lançait parfois des éclairs contenus. Ses mains étaient fort belles… on eût dit des mains de prélat. Lorsqu’il était seul et qu’il ne se surveillait pas, il y avait dans ses attitudes une sorte de majesté dédaigneuse, un orgueil tranquille et puissant, un dédain d’homme très supérieur au reste de l’humanité. Cet homme-là devait sans doute se jouer de la gloire des monarques, déchaîner à son gré des guerres sanglantes, et, d’un signe, faire régner la paix sur le monde.
Tout cela, d’Assas ne le comprit pas, mais il le sentit confusément.
Il comprit du moins qu’il se trouvait en présence de quelque chose d’effrayant, d’inconnu, qui pouvait être excessif de force et de pouvoir.
Et comme il était brave, il éprouva non pas l’effroi qu’on avait peut-être voulu lui inspirer, mais cette sorte de joie sourde qui s’empare de l’homme jeune, chevaleresque et hardi, lorsqu’il se trouve devant la bataille.
– Qui êtes-vous, monsieur ? demanda-t-il.
– Je m’appelle M. Jacques, dit lentement le visiteur ; je suis un paisible bourgeois, allié lointain de la famille Poisson… si lointain d’ailleurs que je crois cette parenté parfaitement ignorée de mes cousins. Quoi qu’il en soit, j’ai pu voir de près Jeanne qui se trouve être ma nièce ; sa beauté m’a intéressé ; je crois qu’elle n’est pas heureuse et je cherche le moyen d’assurer son bonheur. Voilà qui je suis, jeune homme. Ces explications vous suffisent-elles ?
– Non ! répondit d’Assas froidement ; car elles n’expliquent rien. Et surtout, elles ne me disent pas comment vous, bourgeois modeste, avez pu obtenir du roi ce qu’un ministre obtiendrait difficilement, c’est-à-dire un ordre de mise en liberté immédiate.
– Nous sommes bien près de nous entendre, mon cher enfant. Car vous êtes doué d’une rare intelligence et l’intelligence facilite les transactions. Donc vous ne croyez pas à mon invention du bourgeois ?
– Non, monsieur, dit d’Assas qui se sentait gagné par un indéfinissable malaise.
– Et vous avez raison. Je vois que je suis obligé de parler net et franc.
– C’est le meilleur, monsieur.
– Et le plus court, jeune homme. Avez-vous entendu parler du cardinal Fleury ?
– L’éducateur du roi ? Certes !
– Eh bien ! je suis son successeur, ou pour mieux dire son continuateur.
– C’est donc à un homme d’église que j’ai l’honneur de parler ?
– Oui, monsieur : à un homme d’église ! répondit M. Jacques. Et cette fois, il y eut un tel accent de vérité profonde dans sa voix, une telle majesté dans son attitude que d’Assas, un instant hésitant, s’inclina profondément.
M. Jacques reprit alors son masque de modestie et poursuivit :
– Je n’occupe pas le rang élevé et la haute situation que remplissait si noblement Monseigneur Fleury. Je n’en serais pas digne. Mais ce qui est sûr, c’est que je suis animé de la même foi
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