La Marquise de Pompadour
en disgrâce dans ce poste de gouverneur d’une prison d’Etat où il s’ennuyait à mourir, et que lui avait voulu la malice de M me de Châteauroux, alors toute-puissante. L’année précédente, le marquis de Machault, retour d’une ambassade à Berlin, s’était permis de dire que le grand Frédéric appelait Cotillon III la maîtresse de Louis XV. M me de Châteauroux se plaignit au roi.
– Que voulez-vous que j’en fasse ? demanda Louis XV.
– Envoyez-le à la Bastille, Sire !…
– Diable, ma chère ! Si je mets mes gentilshommes en prison pour si peu…
– Mais, Sire, fit la duchesse en se mordant les lèvres, car elle voyait déjà son pouvoir lui échapper, qui vous parle d’emprisonner M. de Machault ? Nommez-le gouverneur de votre Bastille, il n’aura rien à dire et sera tout de même embastillé !
Le roi se mit à rire, et signa séance tenante la nomination de M. de Machault qui la reçut en pestant fort, mais qu’en habile courtisan, il dut accepter avec grands remerciements. Il se vengea en passant son temps de captivité, comme il disait, à tourner des quatrains contre M me de Châteauroux.
La puissante maîtresse du roi avait fini par perdre tout crédit ; comme nous l’avons dit, elle avait été, à la lettre, chassée honteusement depuis deux mois. Mais Machault, oublié, continuait à gouverner la Bastille et commençait à se demander avec inquiétude s’il était destiné à mourir dans ses murs comme un prisonnier.
Lorsque M. Jacques se présenta devant lui, le gouverneur, qui n’avait cessé de l’examiner pendant la précédente entrevue avec du Barry, le reçut avec une froideur glaciale.
– Eh bien, monsieur… Jacques, je crois ?
– Oui, monsieur le gouverneur… M. Jacques !
– Eh bien, vous avez vu votre homme ? Vous êtes content ? Adieu, donc ! Vous pouvez vous retirer.
– Pardon, monsieur le gouverneur, c’est que… fit humblement M. Jacques.
– Qu’y a-t-il encore ? Je vous préviens que je suis pressé.
– Soit. Veuillez donc, s’il vous plaît, me remettre M. le chevalier d’Assas que j’emmène.
Le gouverneur bondit, non pas tant de la surprise que lui causait cette nouvelle, que du ton d’autorité qu’avait pris soudain M. Jacques.
– Ah ! çà !… vous devenez fou !… Je vous assure que nous avons des cabanons ici, qui…
– Lisez ! fit impérieusement M. Jacques.
Le marquis de Machault saisit le papier que lui tendait M. Jacques, et le parcourut d’un coup d’œil.
– C’est un ordre d’élargissement tout à fait en règle, dit-il au bout d’un instant. Diable, mon cher monsieur… Jacques, vous êtes puissant… Car voilà un papier que peu de personnes pourraient arracher à Sa Majesté… On sait assez que le roi déteste la manie qu’ont certaines gens de vouloir sortir de la Bastille… témoin moi qui y suis encore… Peste ! mes compliments… Au fait ! qui sait si, grâce à vous, je ne pourrais pas, moi aussi, gagner ma liberté ?… Monsieur Jacques, je ne vous laisserai pas sortir, à moins que vous ne me promettiez votre protection !
M. Jacques s’inclina sans répondre.
Quant au gouverneur, il parlait, comme on dit, pour parler, et examinait l’étrange visiteur avec plus d’attention que jamais.
– J’y suis ! fit-il tout à coup, d’une voix changée.
– Où êtes-vous ? demanda ironiquement M. Jacques.
– Je me demandais où je vous avais vu, et je viens de trouver !
– Ah ! ah ! dit M. Jacques en dissimulant un tressaillement.
– Oui… c’est bien cela ! Je vous ai vu à Berlin… pendant mon ambassade auprès de l’illustre Frédéric, roi de Prusse !
M. Jacques ne fit pas un geste. Mais tout doucement, d’un mouvement imperceptible, il tourna en dehors le chaton d’une énorme bague qu’il portait à l’index de la main droite.
– Savez-vous que vous êtes diantrement changé ! continuait M. de Machault. Je vous trouve ici en pauvre petit bourgeois très humble… Vous étiez là-bas un grand seigneur ayant rang à la cour et salué très bas par les plus puissants… Ah çà ! monsieur Jacques, c’est bien vous, n’est-ce pas, que j’ai vu à Berlin ?…
– C’est possible, dit M. Jacques d’une voix blanche, j’ai beaucoup voyagé. Mais il ne s’agit pas de moi, monsieur le gouverneur. Il s’agit de ce pauvre prisonnier. L’ordre est en règle, vous l’avez dit
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