La Marquise de Pompadour
profonde que mon illustre prédécesseur : je ne fais d’ailleurs que me conformer rigoureusement à la tradition qu’il m’a transmise ; et si j’ai résolu de demeurer toujours dans la coulisse et de ne jamais me mêler des affaires de l’Etat, je n’en ai pas moins conquis une précieuse influence sur l’esprit du roi en ce qui concerne la direction de sa vie privée… Comprenez-moi bien, monsieur. En maintenant le roi de France dans la voie des vertus domestiques, je crois rendre au royaume un signalé service… Ce n’est pas seulement sur les champs de bataille ou dans les conseils de ministres qu’on peut utilement servir son pays. Mon rôle est modeste, l’histoire ne l’enregistrera pas, mais, en sauvant Louis XV des tentations de l’amour, n’est-il pas vrai que j’épargne à la France bien des misères et peut-être bien des catastrophes ?
– Vous avez raison, monsieur, dit le chevalier avec un respect qu’il ne songea pas à dissimuler. Vous faites là de bonne et profonde politique. Un roi désordonné, vicieux, c’est le malheur d’un royaume, ce sont les folles dépenses, ce sont les levées d’impôts, ce sont les émeutes, ce sont les guerres pour conquérir l’or nécessaire à satisfaire les insatiables maîtresses qui…
Le chevalier s’arrêta soudain, livide et frissonnant.
– Oh ! murmura-t-il. Et elle ! elle ! elle qu’il aime !… Oui ! le roi l’aime !… Malheureuse !…
M. Jacques saisit la main de d’Assas et dit sourdement :
– Vous venez de prononcer de terribles paroles, jeune homme ! C’est de Jeanne-Antoinette Poisson que vous parlez, n’est-ce pas ? De celle que vous aimez !… Eh bien, oui ! le roi l’aime ! Et c’est ce qui m’amène ici !… Ecoutez-moi !…
D’Assas passa sur son front ses mains tremblantes. Cet amour du roi, il l’avait presque oublié !… qu’allait-il apprendre ?
– Le roi, reprit M. Jacques, s’est épris de cette belle enfant…
– Mais elle est mariée, maintenant ! s’écria d’Assas. Son mari…
– Elle n’aime pas son mari ! Elle ne l’aimera jamais ! Comment cet ange de beauté pourrait-il aimer ce monstre de hideur qu’est M. Henri Le Normant d’Etioles ?…
– Oui ! oui ! murmura ardemment le chevalier, vous avez raison… elle ne peut aimer cet homme… mais alors ! ajouta-t-il avec une plainte déchirante… elle aime le roi !…
– Pas encore ! dit M. Jacques.
D’Assas était pantelant. Il ne pouvait plus douter maintenant de la loyauté absolue de l’homme qui lui parlait. L’accumulation des détails exacts correspondant à tout ce qu’il savait eût suffi pour lui enlever ses derniers doutes.
Mais comme il souffrait, le pauvre enfant ! Sous la main de fer de cet homme, sous cette parole habile à le faire passer brusquement par tous les degrés de l’espérance et du désespoir, son cœur se tordait en d’affreuses angoisses.
M. Jacques ne le perdait pas de vue un instant.
– M me d’Etioles, reprit-il, n’aime pas encore le roi. Mais elle ne tardera pas à l’aimer…
– Oh ! rugit d’Assas.
– Est-ce improbable ? Je la connais. Je l’ai étudiée. C’est un cœur d’or. Elle ignore tout de la vie. Elle exècre son mari. Le roi est encore jeune, encore beau, et surtout auréolé de son élégance, de son prestige royal. Comment voulez-vous que cette pauvre enfant ne succombe pas bientôt ?…
– Oui ! oh ! oui !… Ah ! que je souffre !…
– Il ne faut pas que cela soit ! Pour le repos de la France et surtout pour le repos de cette pauvre reine qui a déjà tant souffert, à laquelle je suis, moi, profondément dévoué, il ne faut pas que Louis commette cette nouvelle faute ! Il ne faut pas que la misérable duchesse de Châteauroux, qui a tant fait pleurer la reine, qui a mis le royaume à deux doigts de sa perte, soit remplacée par une nouvelle maîtresse d’autant plus redoutable qu’elle serait plus jeune et plus belle !…
D’Assas étouffa un sanglot que M. Jacques recueillit avec une joie soigneusement dissimulée sous un masque de pitié profonde.
– Vous me plaignez ? fit le chevalier.
– De tout mon cœur. Qui ne vous plaindrait ? Si jeune et si sincère dans votre amour !
– Mais, reprit tout à coup d’Assas, qui vous a donné l’idée…
– De venir vous trouver ? interrompit M. Jacques. C’est elle-même ! C’est Jeanne !
– Elle ! s’exclama le
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