La Marquise de Pompadour
excellente affaire. Du Barry réfléchit que le plus pressé pour lui était de gagner les cinquante mille livres qui lui restaient à encaisser ; quant au chevalier d’Assas, il lui chercherait quelque bonne querelle et le tuerait.
Ou mieux… il ne manquait pas à Paris d’honnêtes bravi qui, moyennant finances, opéraient en douceur et sans esclandre…
Ce fut en roulant ces hideuses pensées, – argent, trahison, haine, sang, tout cela se tenait et s’enchaînait en lui, – ce fut en songeant aussi à d’autres projets plus profonds que le comte du Barry commença aussitôt le siège du lieutenant de police, du garde des sceaux et du roi lui-même. Il n’eut aucune peine à triompher. En somme, toute l’accusation contre le chevalier d’Assas venait de lui. Et c’était chose si rare que d’entendre du Barry chercher à innocenter quelqu’un, qu’on pouvait l’en croire sur parole quand la chose lui arrivait.
Au jour dit, le comte apportait à M. Jacques les deux papiers demandés, et l’emmenait dans son carrosse à la Bastille. Nous avons vu comment M. Jacques avait été présenté au gouverneur, puis conduit par un porte-clefs jusqu’au cachot du chevalier d’Assas.
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Chapitre 16 LE TENTATEUR
J e vous apporte des nouvelles de Jeanne !
Tel fut le premier mot du visiteur.
Et l’effet que ce mot produisit sur le chevalier fut prodigieux. D’Assas qui voulait mourir l’instant d’avant, d’Assas qui s’était étendu sur sa triste couchette pour chercher un moyen de se tuer, d’Assas qui était plongé dans ce désespoir d’amour qui est à coup sûr le plus redoutable des désespoirs, d’Assas bondit, les yeux étincelants, et, de ses mains tremblantes, saisit les mains de l’étrange personnage. Il voulut l’interroger, prononcer quelques mots, et n’y parvint pas.
– Calmez-vous, mon enfant, dit M. Jacques en jetant sur le jeune homme un regard de sombre satisfaction. Les nouvelles que je vous apporte ne sont d’ailleurs pas aussi importantes que vous pouvez vous l’imaginer…
– Ah ! monsieur, murmura le chevalier avec ferveur, qui que vous soyez et quoi que vous ayez à me dire, je vous bénis !… Parlez, parlez, je vous en supplie… qu’avez-vous à m’apprendre ?…
M. Jacques garda un instant le silence, tandis que d’Assas l’examinait avec une angoisse grandissante.
– Vous l’aimez donc bien ? demanda-t-il brusquement.
– Je l’adore ! fit le chevalier avec cette charmante naïveté des vrais amoureux qui éprouvent le besoin de raconter leur passion à tout l’univers. Je l’adore, monsieur ! Je donnerais ma vie pour la revoir, ne fût-ce que quelques instants…
M. Jacques poussa un soupir.
Qui sait si cet effrayant personnage qui disposait d’une puissance occulte capable d’ébranler le monde n’enviait pas à ce moment ce pauvre prisonnier !
C’est que sa puissance, à lui, était faite de ténèbres ! C’est que le cachot rayonnait de la jeunesse et de l’amour de son prisonnier !
Si ce sentiment pénétra jusqu’à l’âme obscure de M. Jacques comme un rayon de soleil peut pénétrer au fond d’un souterrain noir, humide et chargé de miasmes délétères, ce rayon s’effaça aussitôt, ce sentiment disparut sans retour.
– Ainsi, reprit le visiteur, vous voudriez la revoir ?
– Je vous l’ai dit : que je puisse une fois encore éblouir mon regard de cette adorable vision… et que je meurs ensuite !…
– Il ne s’agit pas de mourir ! Vous êtes jeune, vous avez de longues années à vivre, l’amour et peut-être la richesse et la puissance vous attendent. Si la richesse et le pouvoir ne vous charment pas, l’amour du moins peut faire de votre vie un long délice. Je vous apporte le moyen de la revoir, non pas pour une minute ou un instant comme vous le demandez, mais de la revoir tous les jours, de l’aimer… d’en être aimé peut-être ! Non pas pour mourir à ses pieds, mais pour y vivre en l’adorant… en vous enivrant de ses baisers…
D’Assas joignit les mains, et, haletant, murmura :
– Vous me rendez fou, monsieur !… ou plutôt… vous vous jouez de mon désespoir !…
– Jeune homme, fit M. Jacques avec une sorte de sévérité, je ne suis pas de ceux qui jouent avec un cœur d’homme…
– Vous savez pourtant que je suis prisonnier ! Vous savez, vous devez savoir qu’on ne sort pas de la Bastille lorsque c’est le caprice du roi qui vous y
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