La Marquise de Pompadour
chevalier dans un cri de joie délirante.
– Vous comprenez bien que mon premier soin a été de la faire surveiller, de savoir ce qu’elle dit, ce qu’elle pense. Or, depuis quelques jours, et surtout la veille de son mariage, elle n’a parlé que d’un chevalier d’Assas qu’elle cherchait à revoir.
Le jeune homme palpitait et murmurait extasié :
– Elle a parlé de moi ! Elle s’est souvenue de moi…
– Je me suis informé. J’ai appris que ce chevalier d’Assas était à la Bastille pour une faute inconnue. J’ai habilement interrogé le roi. Il m’a dit qu’il ne tenait nullement à garder en prison ce d’Assas auquel il avait voulu simplement donner une leçon. J’ai fait agir tous mes amis, et notamment le comte du Barry que vous avez blessé, paraît-il, mais qui ne vous en a pas gardé rancune. Bref, j’ai obtenu votre élargissement et me voici !…
– Vous voici ! répéta machinalement le chevalier. Mais… que… voulez-vous donc de moi ?
– Quoi ! Vous ne le comprenez pas ?
– Excusez-moi… j’ai la tête perdue… parlez clairement, je vous en supplie.
– C’est bien simple, dit M. Jacques. Je crois fortement que Jeanne aimera le roi à bref délai. Mais je crois non moins fortement que prudente, intelligente comme elle est, elle ne se lancera dans cette aventure que par désœuvrement de cœur. Si ce cœur est pris, Jeanne est trop fière pour sacrifier un amour véritable à la vanité d’être la maîtresse du roi… Voulez-vous être cet amour ? Voulez-vous devenir l’infranchissable obstacle qui se dressera entre Jeanne et Louis XV ?
– C’est sur moi que vous avez compté pour ce rôle ! s’écria d’Assas en frémissant.
– J’avoue que la chose est dangereuse, dit doucement M. Jacques. Pour être aimé à jamais… pour sauver du déshonneur et du désespoir celle que vous adorez… il faudra lutter contre la puissance royale… risquer d’être brisé… pulvérisé !… Je comprends votre hésitation ! Si amoureux que vous soyez… vous êtes jeune et vous tenez à la vie… Dans la première effervescence de votre amour, vous vous dites prêt à mourir pour revoir un instant la femme aimée… puis vous songez aux dangers que vous allez courir… C’est tout naturel, je ne vous en blâme pas… et vous réfléchissez qu’après tout, la vie vaut bien le sacrifice d’une passionnette de jeunesse… je le comprends… Mais je vois à regret que Dieu m’abandonne… que j’avais en vain compté sur votre vaillance… Allons, c’en est fait ! La pauvre reine pleurera encore, Louis XV ne trouvera aucun hardi chevalier sur sa route… et Jeanne sera déshonorée !… Adieu, monsieur !…
– Arrêtez, par le Ciel…
D’Assas s’élança entre la porte et M. Jacques.
Il avait écouté avec une indicible terreur les dernières paroles de cet homme. Il se représenta Jeanne dans les bras de Louis XV… Tout ! oui, tout plutôt que de voir s’accomplir la sinistre prophétie !
– Que faut-il faire ? demanda-t-il haletant, brisé, vaincu.
– Rien, dit M. Jacques. Rien que ce que je vous ai dit : sauver Jeanne ! parce que sauver Jeanne, ce sera sauver la reine d’une nouvelle douleur, le roi d’une passion dangereuse, et le royaume de nouvelles tristesses !…
– Ah ! s’écria d’Assas en se courbant, vous êtes vraiment un homme de Dieu ! Pardonnez-moi, j’ai soupçonné… j’ai redouté un instant quelque marché…
– Devant lequel se fût révoltée votre conscience ! Je vous comprends, mon enfant, dit M. Jacques avec mélancolie. Mais, vous le voyez, pas de marché. La clarté, la limpidité. Il s’agit d’un poste d’honneur…
– Oui, oui ! Dussé-je y mourir !…
– Eh bien, mon enfant, attendez-moi. Je vais faire remplir les formalités nécessaires. Dans une demi-heure, vous serez libre.
– Libre ! libre !… la liberté ! murmura d’Assas extasié.
– Et l’amour, dit M. Jacques qui sortit aussitôt, laissant le chevalier en proie à mille sentiments contradictoires, à mille conjectures qui se heurtaient dans sa tête.
M. Jacques se rendit aussitôt dans l’appartement du gouverneur de la Bastille, toujours accompagné du porte-clefs… Ce gouverneur s’appelait Louis, marquis de Machault.
C’était celui-là même qui devait être garde des sceaux un peu plus tard.
C’était un homme retors, adroit courtisan, diplomate redouté, pour le moment
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