La mémoire des flammes
cette enquête. Elle a utilisé néanmoins des renseignements établis par la police de Fouché quand celui-ci était ministre de la Police générale, mais avait développé ses propres réseaux policiers, par la Police générale...
— Que pense-t-elle de Charles de Varencourt ?
— Elle le juge fiable et digne d’intérêt. Il a fourni des renseignements que la police a recoupés avec ce qu’elle savait déjà. Cela a permis de vérifier que Varencourt ne racontait pas n’importe quoi.
— Bien. Je t’écoute.
— À tout seigneur tout honneur, commençons par le chef, le vicomte de Leaume. Varencourt vous en a déjà appris beaucoup sur lui. Mais savez-vous comment il s’est évadé ?
— Non. Parle !
— Il a fait semblant d’être mort. Dit comme ça, ça paraît simple... Mais quand les geôliers voient un captif qui a l’air d’avoir trépassé, que font-ils ? Un coup de pique ou de baïonnette dans le corps. N’importe quel simulateur hurle aussitôt ou se tord de douleur. Mais Louis de Leaume, lui, n’a pas bougé. Comme c’était sous la Terreur, que l’on tuait à tour de bras, les gardiens ont cru qu’il avait succombé aux mauvais traitements. On l’a jeté dans une fosse commune, avec les cadavres des guillotinés du jour et ceux des pauvres morts de faim dans les rues... La nuit venue, il s’est relevé d’entre les morts.
Margont ne pouvait s’empêcher d’imaginer cette scène. Il voyait cet homme se redresser de sous des corps humains en décomposition. Sa silhouette, éclairée par la lumière blafarde de la lune, évoquait plus celle d’un spectre que celle d’un rescapé. Ce songe le glaça d’épouvante.
— À quel endroit du corps son geôlier l’a-t-il blessé ? demanda-t-il.
Lefîne écarquilla les yeux.
— En voilà une question ! Je n’en ai pas la moindre idée.
— Cette cicatrice pourrait permettre de s’assurer qu’il s’agit bien de lui. Car qu’est-ce qui prouve que le vrai Louis de Leaume s’est réellement relevé de ce charnier ? Quelqu’un pourrait avoir usurpé son identité...
— Je me suis aussi posé la question. Le dossier de la police soutient cette version des faits. En outre, la description que vous m’avez faite de lui correspond à celle qui a été dressée à l’époque par le Tribunal révolutionnaire, durant son procès.
— Bon. Continue...
— On le croyait effectivement mort. Mais, au lieu de prendre une autre identité et de changer de vie, Leaume a à nouveau intégré un groupe royaliste, l’Alliance, sous son vrai nom ! La police de la Commune a fini par entendre parler de lui, trois ans après sa mort... D’où une enquête sur les circonstances exactes de son décès, qui a abouti à la conclusion qu’il s’était en fait évadé.
— Il faut dire qu’il ne lui restait que cela, justement : son nom. Plus de famille, plus de logement, plus d’argent, même plus de pays... J’ignore s’il s’agit d’un imposteur ou si c’est bien Louis de Leaume qui a conservé sa véritable identité, par orgueil, pour défier ses ennemis et les humilier en leur faisant savoir qu’il les avait bernés. Mais je peux te dire une chose. Si quelqu’un fait semblant d’être mort, est blessé, est jeté dans une fosse commune et passe des heures enseveli sous des cadavres, lorsqu’il se relève enfin de ce charnier, ce n’est plus le même homme... Peut-être est-ce d’ailleurs pour cette raison que Louis de Leaume a conservé son vrai nom. Il voulait garder un lien avec celui qu’il avait été avant cette épreuve...
Son enfance ayant baigné dans une atmosphère religieuse, Margont pensa au Christ. Lui aussi était « mort ». Pour s’en assurer, un légionnaire l’avait blessé au flanc droit de sa lance. Pouvait-on considérer Louis de Leaume comme une sorte de « Christ inversé » qui était « ressuscité » non pas pour aimer, mais pour se venger ?
Lefine n’aimait guère parler de la mort. Il enchaîna donc rapidement.
— En 1796, il a quitté l’Alliance, parce qu’il trouvait ses membres trop modérés. Il a émigré à Londres, où il a passé au moins deux ans. Après, la police n’a plus entendu parler de lui. Il est réapparu à Paris en janvier 1813, où il a créé un nouveau groupe, les Épées du Roi. Voilà tout ce que je peux dire sur son passé. Comme vous le savez, j’ai beaucoup d ’amis, des fréquentables et des moins fréquentables. Pourtant,
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