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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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Personne ne lui rend jamais visite. En revanche, il sort souvent. Il n’est pour ainsi dire jamais chez lui. Malheureusement, il est presque impossible à suivre. Par exemple, tout à coup, il se met à courir, alors, bien sûr, celui qui le piste ne peut l’imiter... Il parvient toujours à semer mes hommes. Je suis parfois allé moi-même faire le guet devant chez lui. Par trois fois, j’ai essayé de le suivre, mais je l’ai perdu. Mais, hier, j’ai amené Natai à me confier que Varencourt devait venir le voir le jour même, pour toucher son salaire de traître ― Natai a refusé de me préciser la somme et j’en déduis que Varencourt est encore plus gourmand que moi. Je me suis donc caché en face du logement de Natai. Varencourt est venu prendre son argent. Il est aussitôt allé le jouer. Il était si impatient qu’il en était moins adroit, moins prudent. Il essayait bien, comme les fois précédentes, de se fondre dans la foule, mais il devait déjà penser aux parties qu’il allait faire. Si bien que, cette fois, il ne m’a pas semé.
    — Tu es sûr qu’il ne t’a pas repéré ?
    — Quand je suis quelqu’un, il ne me repère que si je le veux bien ! Il s’est d’abord rendu quai des Miramiones, en face de l’île Saint-Louis, dans un cabaret, La Gueuse du quai. Ah, il y est connu ! Tout le monde le saluait sous le nom de M. Pigrin. On le surnomme aussi le roi Midas ! Parce qu’il a tellement de chance au jeu qu’il transforme en or les cartes qu’il touche... Je l’envie sur ce point ! Il a rejoint une table de joueurs de whist et s’est mis à miser, miser, miser... Je l’observais discrètement, tout en buvant un verre en compagnie d’ivrognes qui me racontaient leurs malheurs réels ou imaginaires. Il fallait voir son visage quand il regardait ses cartes ! Cette tension joyeuse, cette impatience, cette rage... Ah oui, le démon du jeu le possède. Un sacré démon, croyez-moi ! Il a plus gagné que perdu. Il est ressorti avec ses gains, apparemment sans s’inquiéter des coupe-jarrets. Il doit être armé. Il n’est pas allé bien loin : un deuxième estaminet, tout petit, Le Louveteau. Là, je ne suis pas entré. Trop risqué. J’ai eu l’idée de demander à un passant où on pouvait jouer. Il m’a indiqué quelques adresses, les plus connues : La Commère, Le Sultan du feu... Je me suis rendu à la plus proche, Le Sultan du feu. Quel drôle de nom !
    — C’est ainsi que les mamelouks surnommaient Bonaparte durant la campagne d’Égypte, parce que notre infanterie faisait un feu de tous les diables sur eux.
    — Une demi-heure plus tard, devinez qui est entré ? Il a rejoint les autres joueurs avec l’avidité d’un affamé. Plus il joue, plus le démon du jeu renforce son emprise sur lui.
    — Comme l’eau-de-vie, qui donne de plus en plus soif à l’ivrogne...
    — Là, plus de whist. 11 a joué au renversé, au vingt-et-un, puis à l’intrépide et a accumulé des gains. Mais, comme il forçait sa chance, il a commencé à perdre. J’ai remarqué un détail. Il y a une chose qui lui fait plus plaisir encore que de gagner. C’est lorsqu’il se remet à gagner après avoir perdu beaucoup. C’est frappant. Dans ces cas-là, il exulte.
    — Intéressant. C’est comme s’il préférait remonter une pente plutôt que la monter.
    — C’est une façon compliquée de dire ce que je viens d’expliquer de manière claire. C’est bien vous, ça...
    Margont imaginait sans peine Charles de Varencourt en train d’observer ses cartes. Quand il parlait, négociait : tout le temps, il semblait jouer.
    — Et ensuite ?
    — Vers six heures, il s’est rendu dans le faubourg Saint-Germain, rue de Lille. Après avoir joué avec les pauvres, c’est le tour des riches. Il a frappé à la porte d’une demeure baroque, avec des colonnes torsadées et des statues de belles, torse nu, qui soutiennent un grand balcon – exactement le genre de maison dont je rêve ! Un valet lui a ouvert et l’a salué, en s’inclinant, mais pas trop. J’en ai déduit que le propriétaire des lieux se considérait comme supérieur à Varencourt, mais qu’il l’appréciait néanmoins. Le domestique a dit : « Monsieur le comte jouera avec plaisir aujourd’hui. Il vous précise que, cette fois-ci, il souhaite battre lui-même les cartes. » Varencourt a acquiescé et est entré.
    — Je me demande s’il ne triche pas, parfois, ce qui expliquerait pourquoi cet

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