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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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venait à la place des larmes. Son ami le regardait sans comprendre, tandis que lui tentait de chasser un souvenir d’adolescence. Il avait treize ans, et marchait dans les rues de Nîmes, redécouvrant peu à peu le monde après quatre années d’enfermement dans l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert. Mais ce monde « réel » n’avait rien à voir avec le paradis qu’il avait imaginé. Sans lui en donner la raison, sa mère avait pris des chemins détournés. Elle voulait lui cacher la guillotine, car, à l’époque, en pleine Terreur, on exécutait les gens par milliers, parce qu’ils n’étaient pas partisans de la Révolution, parce qu’ils ne l’étaient pas assez, parce qu’ils l’étaient trop, ou parce qu’ils l’étaient, mais pas comme il fallait... Hélas, elle ignorait que des riverains de l’Esplanade, où le « rasoir national » était habituellement installé, s’étaient plaints de l’odeur du sang. Par conséquent, on avait déplacé celui-ci... Si bien que sa mère le conduisit justement devant le spectacle qu’elle voulait lui épargner. Et, durant cette sorte de brefs instants qui vous hanteront toute votre vie, Margont vit des femmes s’approcher de têtes. Des têtes... sans corps, qui baignaient dans un sang rouge vif. Et ces femmes, qui assistaient aux exécutions en tricotant, de la pointe de leurs aiguilles visèrent les yeux des têtes fraîchement tranchées. Un écran noir vint interrompre cette vision. Sa mère avait plaqué sa main sur son visage pour l’empêcher de voir. Elle s’enfuit, tirant son fils par la main, courant comme si la guillotine les poursuivait. Ce fut le seul moment de sa vie où Margont se demanda brièvement s’il n’allait pas finalement décider de retourner de lui-même à l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert... Il repensa à Louis de Leaume s’extirpant de son linceul de cadavres. Les avait-il vues, lui aussi, ces têtes tranchées et mutilées ? Oh, certainement ! Mais aucune main n’était venue le protéger. Il les avait fixées, son regard plongeant dans leurs yeux crevés.
    — Mon cher Fernand, d’habitude, c’est moi le plus naïf des deux. Mais, pour une fois, ce n’est pas le cas. Ta misogynie t’égare. Catherine de Saltonges est autant suspecte que les autres, crois-moi. Lorsque je l’ai rencontrée, elle paraissait vouloir éviter d’assister à... à une scène de violence à mon égard.
    Il ne parvenait toujours pas à évoquer clairement ce qu’il avait vécu, comme si l’épreuve de son admission chez les Épées du Roi était devenue un abcès qui allait en empirant.
    — Mais, aussi bien, ce n’était qu’une feinte, ajouta-t-il. Si cela se trouve, elle adore tricoter...
    Lefine saisit l’allusion. Il avait entendu parler des tricoteuses. Si ce surnom désignait généralement les femmes qui, sous la Révolution, venaient assister aux débats de la Convention nationale tout en tricotant, pour surveiller les élus et pour participer aux débats en acclamant ou en huant les discours, il recelait néanmoins une part d’ombre, minuscule, mais sanglante...
    — Elle s’est mariée en 1788, à l’âge de dix-sept ans, avec le baron de Joucy. Sa famille désirait ce mariage, car le baron était un parti intéressant. Elle aussi voulait cette union, mais parce qu’elle était amoureuse. Un mariage d’amour et de raison ! Mais il fut bref, ce rêve. Et brutal, le réveil. Car le baron était un séducteur forcené, un Casanova parisien. Il la trompait sans relâche, avec ses amies, des servantes, des mères, leurs filles, des prostituées...
    — Tu n’exagères pas un peu ?
    — Il est sûr que la rumeur a dû amplifier la réalité. Mais je suis parvenu à retrouver un ancien domestique de la maisonnée, un certain Guerloton. Un jour, celui-ci a carrément rossé le baron qu’il avait surpris dans un ht avec sa femme ! Le baron n’a pas porté plainte, pour éviter que l’affaire ne s’ébruite. Il s’est contenté de renvoyer le valet et son épouse. Heureusement pour lui qu’il se terre à Londres, parce que, s’il revient, quelqu’un l’attend, croyez-moi, qui, cette fois, ne se contentera pas de le frapper... Le plus triste, c’est que Catherine de Saltonges ignorait tout de cela. Une servante enceinte lui tenait tête comme si c’était elle la maîtresse de maison. Son mari rentrait à toutes les heures à cause de « ses affaires ». Des regards équivoques étaient

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