La mémoire des flammes
« condamné à la guillotine ». Quand Bonaparte se fit proclamer empereur des Français, Honoré de Nolant devint impérialiste et trahit les partisans de la République. Il avait noué bien des contacts, à l’époque où il évoluait dans l’entourage de Louis XVI, puis dans les hautes sphères des milieux révolutionnaires. Fouché, alors à la tête de la Police générale, décida donc de le prendre dans son ministère, où Nolant rendit, dit-on, de grands services. Il aidait à établir les dossiers sur les royalistes, les révolutionnaires et les républicains opposés à l’Empereur. Seulement, en janvier 1810, on commença à le suspecter de détourner de l’argent. Honoré de Nolant disparut aussitôt, du jour au lendemain ! La police finit par découvrir qu’il l’avait bernée. Il prétendait avoir de nombreux informateurs qui ne traitaient qu’avec lui. Mais, en réalité, la plupart d’entre eux n’existaient pas et Honoré de Nolant gardait pour lui les sommes qu’il prétendait leur verser. En échange, il inventait des complots républicains, des projets d’assassinats. ... Il vendait du vent. Très cher, paraît-il. La Police générale l’exècre.
— Il n’a pas dû partir les mains vides, et je ne te parle pas que d’argent... Il est certainement arrivé chez les Épées du Roi les bras chargés de dossiers. Voilà pourquoi il a été admis dans le comité directeur ! C’est lui qui leur permet d’être si bien informés. C’est grâce à lui qu’ils échappent sans cesse à la police ! Il a dû donner les noms des enquêteurs chargés de traquer les organisations monarchistes, ceux de leurs informateurs... Il a peut-être aussi conservé des amis au ministère de la Police générale qui continuent à le renseigner. Je comprends pourquoi Joseph et Talleyrand m’ont choisi. Moi, je n’ai rien à voir avec toutes les polices de l’Empire.
— Voilà pour Honoré de Nolant.
— Le groupe doit se méfier de lui. On lui fait payer ses trahisons en le chargeant des sales besognes... Il est obligé de prouver sa loyauté en versant le sang. Voilà un traître professionnel : royaliste, révolutionnaire, républicain, impérialiste, à nouveau royaliste... C’est certainement lui qui a su qui il fallait assassiner pour désorganiser la défense de Paris. Lui connaît la situation de l’intérieur. Il a dû citer le nom du colonel Berle ! Il est au minimum complice de ce crime !
— Calmez-vous... Vous êtes dans un état !
— Les autres, au moins, suivent une certaine philosophie. Même Charles de Varencourt, qui est fidèle à sa passion du jeu. Mais Honoré de Nolant...
— S’il est arrêté, la police le fera pendre. Sauf si l’armée le fait fusiller avant...
— Je ne vois aucun rapport entre le feu et lui.
Ils atteignirent le sommet de Montmartre. Paris s’étendait sous leurs yeux. Louis XIV avait imprimé la marque de son règne avec des réalisations grandioses : les Invalides dont le dôme doré miroitait comme un deuxième soleil – suscitant des rêveries que l’inquiétude dissipait aussitôt –, la place Vendôme... Napoléon avait agi de même, pour signifier qu’il était aussi grand que le Roi-Soleil : la colonne de la place Vendôme, l’Arc de Triomphe en cours de construction, l’église de la Madeleine qui imitait les temples gréco-romains, la percée de la rue de Rivoli, les ponts d’Austerlitz, d’Iéna et des Arts... Paris ressemblait à un vaste échiquier sur lesquels les puissants accumulaient palais et autres ornements comme autant de pions somptueux.
— Et enfin, Jean-Baptiste de Châtel. Il est né en 1766, dans une famille de la noblesse orléanaise. Très tôt, il a intégré l’abbaye cistercienne de Pagemont, dans le Loiret. Ce n’est pas comme vous, lui voulait vraiment devenir moine. Mais il s’est vite fait renvoyer, discrètement, sous prétexte de graves problèmes de santé, car l’Église souhaitait éviter un scandale. Pourquoi d’après vous ?
— J’ai passé quatre ans dans une abbaye et tu me poses cette question ? Ma réponse prendrait une journée entière ! Parce qu’il désirait voir le monde, qu’il est tombé amoureux, qu’il souhaitait avoir des enfants, car les femmes l’attiraient, ou les hommes, ou alors il a perdu la foi...
— Rien de tout cela. Parce qu’il voulait tout réformer : le déroulement des messes, l’ordination des prêtres, le fonctionnement du
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