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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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le regardait, Lefïne sentait vibrer ses frayeurs. Les aliénées ne constituaient qu’une minorité, à peine quelques centaines des sept mille cinq cents personnes hébergées là. Mais lui les voyait partout, par milliers, les encerclant discrètement, car elles allaient les assaillir pour abuser d’eux avec frénésie, jusqu’à les étouffer, les écraser sous leur nombre. Plus il se disait que ses peurs étaient ridicules, plus elles enflaient dans son imagination.
    — Pourquoi venons-nous ici ?
    Margont désigna la chapelle Saint-Louis, petit chef-d’oeuvre édifié par Libéral Bruant, à qui l’on devait également l’hôtel des Invalides.
    — Elle m’énerve ! Officiellement, elle permet aux aliénées de prier dans un lieu de culte. Mais je vais te dire ce que j’en pense, moi, elle les empêche de sortir ! Une malade souhaite se promener dans le jardin des Plantes, qui se trouve à deux pas d’ici ? Non, on lui dira d’aller dans les jardins de la Salpêtrière ! Veut-elle se recueillir dans une église ? Elle le fera dans la chapelle de la Salpêtrière ! Se baigner ? Dans la Salpêtrière ! Se marier ? Dans la Salpêtrière ! La Salpêtrière ! La Salpêtrière ! La Salpêtrière ! Tout ici a été conçu pour que l’on n’ait jamais à sortir ! Toute la vie se déroule intra-muros ! Rien n’existe hors de ces murs ! J’ai l’impression d’être dans une sorte d’abbaye laïque pour les aliénées et les vieillardes !
    Il repensa à ses années passées dans l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert et fut pris d’un vertige qui vira à la vision. Il vit l’un des pavillons de la Salpêtrière voler en éclats. Les pierres et le mortier étaient soufflés par les boulets de douze livres et les obus de l’artillerie autrichienne. Sa fureur faisait enfler ces explosions imaginaires. Les murs étaient propulsés en l’air et se disloquaient comme des feuilles déchirées avec rage ; ils étaient pulvérisés ; leurs débris retombaient en pluie comme les gouttes d’un violent orage de printemps ; des nuages de poussière se fondaient les uns dans les autres pour former un brouillard ocre... La bataille se déplaçait, s’éloignait. Le calme revenait. Alors, les aliénées et les indigentes, étonnées, quittaient leurs abris, escaladaient les brèches et s’en allaient libres dans Paris...
    Le gardien qui les guidait leur désigna un bâtiment en leur précisant de monter au premier, puis il regagna son poste.
    — Pourquoi sommes-nous ici ? insista Lefine.
    — Nous allons interroger le docteur Pinel sur cette histoire de brûlures infligées post-mortem.
    Lefine jugea que cette idée était... était... Comment dire ? Il ne trouvait pas le mot adéquat. Saugrenue, stupide, hors de propos, inepte, ridicule, risible, fantasque, grotesque, folle, dangereuse, déraisonnable ! Tout cela et bien plus encore !
    — Un médecin de l’esprit aura un regard différent du nôtre. Peut-être a-t-il déjà rencontré un insensé criminel qui brûlait ses victimes après leur mort...
    — Pourquoi avoir choisi Pinel ? Son nom me dit vaguement quelque chose...
    — Mais c’est le libérateur des aliénés ! En 1793, alors qu’il venait de prendre ses fonctions à l’hospice de Bicêtre, il décida de libérer les malades de leurs chaînes ! Tu imagines la consternation des surveillants. Ils argumentaient en disant que certains insensés étaient des forcenés, des fous furieux, c’est pourquoi on les maintenait aux fers jour et nuit, tandis que Pinel soutenait que c’était parce qu’on les enchaînait que ces personnes étaient violentes. Il décida de commencer par en détacher douze.
    — Oui, voilà, je me souviens ! Parmi eux, il y avait un certain Chevingé ! Un simple soldat qui se prenait pour un général et qui donnait des ordres à tout le monde. Lors d’un bivouac, on m’a raconté cette histoire et Dieu sait qu’elle m’a marqué. Parce que, sans vouloir offenser quiconque, je me suis toujours demandé si Irénée ne finirait pas sa vie en compagnie de ce Chevingé. Quand il était lieutenant, il se comportait comme s’il était colonel et, maintenant qu’il est effectivement colonel, il se croit déjà maréchal... Parce qu’on lui a confié une légion, il se prend pour Jules César. Encore une promotion et il va vouloir renverser l’Empereur... Ou Louis XVIII...
    Margont ne releva pas cette dernière allusion.
    — En fait, je

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