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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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reconnais qu’à la véritable histoire se mêle la légende. On a dit que certains des malades ainsi libérés se sont retrouvés guéris, que plus aucun n’a été violent... J’ignore ce qu’il en a été exactement, mais c’est trop beau pour être entièrement vrai. Par ailleurs, j’espère bien que Pinel n’a pas été le seul médecin à faire tomber les chaînes des aliénés... Mais en tout cas, il l’a fait ! Et comment l’a-t-on récompensé ? Moins de deux ans plus tard, on l’a muté à la Salpêtrière... Où il a aussi ordonné d’ôter les fers des insensées !
    Margont était à la fois enthousiaste et tendu. Il s’apprêtait à rencontrer l’une des personnes qu’il admirait le plus, un véritable mythe vivant ! Or, quand un rêve vient à se confronter à la réalité, le choc est souvent violent...
    Ils pénétrèrent dans l’édifice. Des cris aigus les agressèrent. Des surveillants maintenaient de force une jeune femme sous un réservoir qui libérait une trombe d’eau glacée. Elle hurlait et se débattait, trempée, les cheveux collés sur le visage, les lèvres bleutées... Le personnel la maîtrisait avec peine, l’eau jaillissait de tous les côtés et Margont fut éclaboussé. Lefine, se tenant derrière son ami, ne reçut qu’une goutte sur la main. Mais son visage devint blanc, comme si toute la chaleur de son corps avait été absorbée par cette gouttelette qui semblait aussi froide qu’un flocon.
    — Mais prenez garde ! s’emporta Margont.
    Lui qui tenait tant à cette rencontre, voilà qu’il se retrouvait avec un manteau et un pantalon mouillés...
    — Qu’êtes-vous donc en train de faire ? Cette eau est glacée !
    Il était rare qu’il use de son autorité, mais cela arrivait quelquefois. Il avait parlé à ces hommes sur le ton du major qui réprimande ses soldats. Or il ne portait pas son uniforme... Lefïne lui murmura d’un ton suppliant :
    — Nous sommes en civil, prenez garde qu’ils ne vous prennent pas pour un deuxième soldat Chevingé...
    Un surveillant le toisa de la tête aux pieds.
    — Nous rafraîchissons son organisme. M. le docteur Pinel dit que cela permet de détendre les fibres brûlantes et desséchées. Quand une personne pense mal, une bonne douche froide interrompt brutalement le cours de ses pensées !
    — Qu’est-ce que cela veut dire, penser mal ?
    — La pauvresse croit que Dieu lui parle, qu’elle est une sainte !
    — Et puis, elle est punie, surenchérit un autre. C’est parce qu’elle refuse de manger. Elle sera aspergée jusqu’à ce qu’elle accepte de se nourrir !
    Ne connaissant pas grand-chose à l’univers des maladies de l’esprit et à leur traitement, Margont n’osa pas intervenir. Mais c’est rongé par le doute qu’il s’éloigna pour monter à l’étage.
    Le couloir était bondé. Plusieurs pensionnaires patientaient pour voir le docteur Pinel. L’une d’elles avait les bras immobilisés par un gilet de force et trois surveillants l’encerclaient. Bien qu’elle se tînt immobile, son regard exprimait une fureur sans bornes. Cette rage était-elle la cause de son immobilisation ou sa conséquence ? Margont se demanda s’il aurait osé la libérer, au cas où il en aurait eu le pouvoir.
    — Il y a trop de monde, fit remarquer Lefine. Au lieu d’attendre en vain, revenons demain. Ou un autre jour... Ou jamais...
    Margont ne lui répondit pas. Survint un curieux spectacle. Un vieillard marcha à sa rencontre, ce qui déclencha une certaine agitation. Trois surveillants et deux gardes municipaux le suivirent, tandis que deux autres gardes prenaient position au sommet des escaliers, pour barrer cette issue. Il semblait avoir quatre-vingts ans, mais on le devinait moins âgé et plutôt usé par les épreuves. Ses gestes, maniérés, trahissaient en lui l’aristocrate. Probablement un noble de l’Ancien Régime. Donc un homme du passé et, maintenant, peut-être un homme d’avenir... Sa mise était négligée : l’habit d’une fraîcheur douteuse, un foulard mal ajusté et un ruban noir froissé qui confectionnait une queue à sa perruque échevelée. Il était détendu, chaleureux, ne s’inquiétait pas du lieu et de cette petite armée qui le suivait pas à pas, encerclant son microscopique univers. Il apostropha Margont d’une voix affable :
    — Ah, monsieur ! Je vois en vous un grand ami de la liberté !
    Margont se sentit percé à jour, comme si, sous ce

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