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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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Trotski… Incroyable ! Kamenev et Zinoviev, Castor et Pollux jusque dans les caves de la Loubianka, exécutés d’une balle dans la nuque, la dernière semaine du mois d’août. Avec eux, tous les anarchistes les plus connus, ralliés au bolchevisme et adhérents au Parti, avaient été liquidés. Une loi d’exception étendait même la peine de mort aux enfants de douze ans et établissait la responsabilité familiale des parents.
    Fred dormit peu cette nuit-là. Dès le lendemain matin, il se précipita au siège de la F.A. On lui apprit que Victor Serge venait d’être expulsé d’U.R.S.S. avec toute sa famille, après intervention de Romain Rolland auprès de Staline. Victor, cher Victor Kibaltchich de Belleville, qui s’obstinait à disculper les bolcheviks à tel point que Fred et lui s’étaient brouillés à Moscou. Au moins, il se tirait de ce nœud de vipères.
    Fred intercéda auprès de la Ligue des droits de l’homme pour qu’elle organise une enquête sur ce procès falsifié. À sa grande surprise, la Ligue refusa, puisque les inculpés reconnaissaient leur infamie. Le Populaire n’accorda qu’un compte rendu succinct de l’affaire, éclipsée par la guerre civile en Espagne.
    Zinoviev et Kamenev, jetés dans les poubelles de l’Histoire, n’intéressaient plus personne.
     
    Fred prenait la parole dans les meetings du Front populaire. Il disait que Kamenev et Zinoviev étaient certes coupables, mais pas des crimes dont ils s’accusaient. Leur seule culpabilité avait été de bolcheviser les soviets populaires, d’avoir bureaucratisé la Révolution, d’avoir offert le pouvoir absolu à Staline. On l’apostrophait avec violence : « Traître ! Fasciste ! Tu n’empêcheras pas l’U.R.S.S. de demeurer la patrie des travailleurs ! » Parfois, on l’expulsait sans ménagements. Germinal ne se trouvait plus là pour lui éviter les coups.
    Par l’intermédiaire de Frossard, il réussit à joindre Blum. Le chef du parti socialiste reçut Fred Barthélemy sans chaleur. Il est vrai que tout séparait le prolo anar du riche dilettante. Avec sa tête de chien triste, ses mains un peu tremblantes, sa voix faible, une voix de fillette qui rappelait à Fred celle de Zinoviev, Blum était tout le contraire d’un tribun. Lorsqu’il levait son petit poing à la tribune, au côté de Thorez, son geste avait quelque chose de ridicule et d’attendrissant. Blum, comparé à Thorez, paraissait une levrette près d’un taureau. Il écouta d’un air las le plaidoyer de Fred, non pas en faveur de Zinoviev et de Kamenev, qui n’avaient plus besoin de secours, mais des autres compagnons de Lénine qui passeraient fatalement à la trappe :
    — Par exemple Boukharine, aujourd’hui cul et chemise avec Staline, sera aussi liquidé. Le processus est maintenant enclenché. Staline ne reculera plus. Il régnera sur un monceau de cadavres. Et sa folie gagnera l’Europe. Vous pouvez encore réagir. Sinon Thorez et Cachin vous liquideront, vous aussi.
    Blum haussa les épaules. Puis il s’excusa de ce mouvement d’humeur et dit que le salut du Front populaire commandait de ménager les communistes. Il ne fallait pas non plus oublier que l’U.R.S.S. restait notre alliée face au nazisme.
    Fred parla alors de Durruti, de son besoin urgent d’armement. Blum rétorqua qu’un gouvernement légal se formait, avec Largo Caballero à sa tête, que ce gouvernement continuait le Frente Popular et qu’il traiterait directement avec celui-ci.
    Fred Barthélemy et Léon Blum se quittèrent en se serrant mollement la main.
     
    Que Blum et Caballero s’arrangent. Après tout, se disait Fred, ce n’est pas mes oignons. Plus important était de révéler au peuple français ce qui lui était masqué : l’extraordinaire impact de l’anarchisme de l’autre côté des Pyrénées. L’anarcho-syndicalisme, moribond en France, comptait en Espagne un million d’adhérents groupés dans la C.N.T. Et la F.A.I., la Federación anarquista ibérica, dénombrait plus de militants que le parti socialiste et le parti communiste réunis. Beaucoup plus de militants encore, si l’on joignait aux anars le P.O.U.M. de Nin, communiste mais antistalinien, seul parti communiste européen qui ne dépendait pas de Moscou. Fred s’était étonné de ne pas trouver à Barcelone Angel Pestaña qui, bien avant Nin, s’était opposé aux exigences du Komintern et avait entraîné l’Espagne dans cette voie libertaire qui

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