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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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écrivaient d’Espagne que tout allait bien, que l’appui des volontaires étrangers réconfortait les miliciens, mais que les armes manquaient. Lecoin et Fred réussissaient pourtant le prodige d’envoyer un camion par jour vers la frontière espagnole. Mais ce camion de ravitaillement, aboutissement de tant de sacrifices, de dévouements, une fois arrivé à son but, étant donné l’énormité des besoins, ne représentait presque rien.
    Fin septembre, une nouvelle inattendue divisa encore les anarchistes français. Cinq militants anarcho-syndicalistes catalans acceptaient d’entrer dans le gouvernement de coalition de Largo Caballero. Aussitôt, Fred Barthélemy écrivit dans Le Libertaire un article extrêmement violent qu’il intitula : « La pente fatale ». En le relisant aujourd’hui, on sent encore le nœud dans la gorge qui étouffait Fred, si ému et si désespéré que les lignes de son article sont comme hachées par l’émotion :
    « Ainsi l’organisation libertaire la plus puissante du monde s’incline devant le pouvoir bourgeois. Celle qui a toujours proclamé la supériorité de l’action directe envoie cinq ministres dans un gouvernement qui, désormais, tiendra les anarchistes en laisse. Comme en Russie, en 1919, ils se justifient en disant que la menace d’une victoire des forces réactionnaires motive leur collaboration. L’exemple de ce qui s’est produit à Moscou n’est donc pas assez éloquent. C’est toujours la même démission. Ou bien nos camarades espagnols renieront peu à peu leurs principes, ou bien ils seront liquidés. Comment mettre en garde le prolétariat contre les séductions du pouvoir et s’incliner respectueusement devant lui s’il offre l’apparence d’une mue ? Nos cinq camarades dans le gouvernement du Frente Popular cela relève d’une mauvaise plaisanterie. Hélas, l’avenir nous prouvera qu’il s’agit d’une sinistre méprise. Un ministre est toujours un dindon. Ceux-là seront les dindons de la farce. »
    Dès ce moment, Fred n’eut plus qu’un souci : partir en Catalogne rejoindre Germinal et Cottin, dans la colonne Durruti. Claudine et les deux enfants, revenus de vacances, rayonnaient de plaisir. Ils s’étaient baignés dans la mer, dorés au soleil. La guerre n’existait pas pour eux. Le farniente des vacances agissait encore à Billancourt. Mariette, à dix ans, ressemblait à une petite femme coquette, si câline avec son père que celui-ci fondait. « Tu es plus amoureux d’elle que de moi », disait Claudine en riant. Fred ne se décidait pas à quitter son foyer. Il devait aussi abattre suffisamment de travail pour laisser à sa famille de quoi vivre. Pendant ce temps-là, les événements se précipitaient en Espagne. Imitant la centurie Sébastien Faure, le parti communiste organisait une Brigade internationale dont il donnait la responsabilité à André Marty. Dix jours plus tard, la Russie livrait des tanks et des avions aux troupes républicaines. Fred ne pouvait plus attendre. Il fit précipitamment ses adieux à Claudine et aux enfants, stupéfaits et consternés.
     
    De Saragosse, la colonne Durruti s’était déplacée à Madrid où le gouvernement, saisi de panique devant l’offensive franquiste, l’avait appelée de toute urgence.
    Pour défendre la ville, les combattants entassaient des sacs de terre, murets dérisoires. Des tranchées rappelèrent désagréablement à Fred celles où il s’envasait devant les lignes allemandes. De l’autre côté se trouvaient encore des Allemands, envoyés par Hitler, et des Italiens dépêchés par Mussolini. Les Russes servant d’instructeurs aux républicains, la guerre civile espagnole se transformait donc en conflit international. Fascistes et communistes la convertissaient en un banc d’essai où ils affrontaient leurs forces, leurs méthodes.
    Seule la stature de Germinal permit à Fred de repérer son fils amaigri, les traits du visage creusés, mal rasé. Vêtu d’un blouson, coiffé d’une casquette avec l’insigne de la F.A.I., le foulard noir et rouge noué à son cou n’était plus qu’un chiffon en lambeaux. Assis, adossé au parapet, il tournait le dos à la canonnade tirée des lignes franquistes. Une écuelle étamée à la main, il mangeait un ragoût. Reconnaissant son père dans ce visiteur étrangement propre parmi tous ces hommes loqueteux avec lesquels il avait pris l’habitude de vivre, il lui tendit une cuillère :
    — Tu en

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