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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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débouchait aujourd’hui sur une nouvelle makhnovitchina. Malheureusement, Angel Pestaña, malade, ne pouvait participer aux luttes qui concrétisaient toutes les aspirations de son existence.
    Libération des prisonniers politiques, expulsion des gardes civils chassés des casernes et remplacés par des miliciens, occupation des terres par les ouvriers agricoles, transformation des mairies en maisons du peuple… contrairement à ce qui s’était passé en Russie les anarchistes espagnols, très organisés, et l’anarcho-syndicalisme puissant, devenaient les fers de lance de la révolution.
    Fred rendit compte aux militants libertaires français de ses observations en Catalogne. Le mouvement anarchiste exterminé en Russie, décimé en Allemagne et en Italie, ressuscitait en Espagne, plus fort, plus ample, plus vivant que jamais. Fred pressait ses camarades d’apporter à Durruti un soutien sans réserve.
    Il reçut aussitôt l’appui de Sébastien Faure et de Louis Lecoin. Sébastien Faure, qui approchait de ses quatre-vingts ans, représentait l’orthodoxie absolue de l’anarchisme. Théoricien respecté par tous, vulgarisateur des théories de Kropotkine, tout au cours de sa longue vie il n’avait jamais failli. De par son âge, de par son pacifisme irréductible, il faisait le pont entre les précurseurs du siècle dernier et les militants quelque peu agitateurs comme Lecoin. Fred se sentait très proche et de l’un et de l’autre. Mais, dans les réunions, l’unanimité était loin de s’établir. La peur de retomber dans les aberrations de l’Union sacrée, qui occasionna la chute d’un homme aussi intègre que Jean Grave, poussait un grand nombre de libertaires à se méfier de toutes les guerres, même d’une guerre civile comme celle de l’Espagne. La seule riposte à une insurrection militaire, disaient-ils, c’est la grève générale, la grève absolue, la non-violence totale. Espérer transformer une guerre injuste en guerre juste, est un leurre. Nous condamnons toutes les guerres, aussi bien défensives qu’offensives. Dressons-nous contre la guerre avant la mobilisation ; après, c’est trop tard. Les miliciens en uniforme les horrifiaient. Que Durruti se coiffe d’un calot leur paraissait déjà une trahison. Vous verrez, disaient-ils, qu’il finira comme Trotski. Trotski aussi était pacifiste. Le jour où il se mit sur la tête une casquette d’officier, c’était fichu. L’habit fait le moine.
    La guerre civile espagnole se serait terminée avant qu’une décision fût prise quant à la participation ou non des anarchistes français, si Sébastien Faure, Lecoin et Fred Barthélemy n’avaient pris sur eux de former un Comité pour l’Espagne libre. Ils convenaient bien que la guerre civile posait le problème le plus délicat et le plus dramatique à résoudre pour des antimilitaristes, qu’aucun des grands théoriciens du XIX e siècle ne l’avait résolu, mais qu’il était impossible de laisser Franco et les autres généraux insurgés assassiner la liberté en Espagne. Repoussant l’intervention directe du gouvernement français réclamée par les communistes, Sébastien Faure, Lecoin et Barthélemy préconisaient une aide de peuple à peuple. Passant aussitôt de la théorie à la pratique, ils constituèrent une brigade d’une centaine de volontaires à laquelle ils donnèrent, malgré les protestations de l’intéressé qui détestait le culte de la personnalité, le nom de Sébastien Faure. Mais Sébastien Faure était alors le seul, parmi les anarchistes français, jouissant d’une aura internationale.
    Louis Lecoin et Fred Barthélemy se partageaient la tâche. L’un et l’autre suscitaient des collectes pour acheter des armes et des vivres, empruntaient des véhicules de transport, tentaient de convaincre des hommes de partir se battre alors que rien ne les prédisposait à un tel sacrifice. Un de leurs meetings, au vélodrome d’Hiver, réunit dix mille personnes. Après les discours, la foule se dispersa dans les rues de Paris, hurlant : « Des fusils, des avions pour l’Espagne ! » En peu de semaines, ils suscitèrent un enthousiasme extraordinaire. Paris n’en avait pas connu de semblable, d’aussi désintéressé, depuis les manifestations en faveur de Sacco et de Vanzetti. Des camions bâchés, chargés de munitions, de linge, d’aliments, roulaient vers les Pyrénées. Germinal et Cottin, engagés dans la centurie Sébastien Faure,

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