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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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veux ?
    Fred repoussa son geste. Germinal paraissait extrêmement las. Un milicien, courbé pour éviter les balles qui sifflaient au-dessus des sacs de terre, présentait une grosse outre en peau de bouc à chacun des combattants. Germinal la haussa à bout de bras au-dessus de sa tête. Un jet de vin rouge gicla dans son gosier.
    Fred, lui aussi, soldat, avait cédé à l’alcool. Il dit néanmoins :
    — Tu bois du vin, maintenant ?
    Puis, regrettant cette réprimande dans laquelle il percevait un ton absurdement paternel, il demanda s’il pourrait rencontrer Durruti.
    Germinal, évasif, montra l’horizon.
    Les explosions sourdes des canons se rapprochaient. Sur la gauche, jaillit un crépitement de mitrailleuses. Des miliciens qui venaient d’arriver, s’élancèrent et disparurent en direction des lignes ennemies.
    — Des Russes, dit Germinal, mais pas des Russes comme ceux qui servent d’officiers aux cocos. Des rescapés de la makhnovitchina. Des durs. Ils sont de tous les mauvais coups. Même qu’il n’en restera pas un pour cracher à la figure du général Kléber quand tout ce bordel sera fini.
    — Quel général Kléber ?
    — Un ancien du Komintern, qui commande les Brigades internationales.
    — Je croyais que c’était Marty ?
    — Marty, c’est le commissaire politique. Kléber, le chef militaire.
    — Comment ça se passe, avec les Brigades ? Vous fraternisez ou vous vous faites la gueule ?
    — Eux sont bien armés. Les Russes leur fournissent tout le nécessaire. Nous, dans la centurie Sébastien Faure, on manque de tout. Pas de casque, pas de baïonnette, presque pas de revolver et une seule bombe pour dix hommes.
    — Une bombe ? Pourquoi une bombe ?
    — Enfin, une grenade, si tu veux. Comme on n’a pas de grenade, on s’en est fabriqué une grosse, qu’on appelle la bombe de la F.A.I. (il prononçait, comme tous ses camarades, la Faille, qui devenait un nom de femme aimée). Tiens, regarde !
    Germinal montra une espèce de boîte avec un levier maintenu baissé seulement par un cordon.
    — Quoi, dit Fred, c’est de la folie. Le lanceur a toutes les chances de s’arracher la main.
    — Oui, oui, aussi on la lance le plus vite et le plus loin possible. Ça fait quand même des dégâts chez l’ennemi.
    Les miliciens, très nombreux maintenant près des parapets de terre, se haussaient sur la pointe des pieds pour observer les mouvements des fascistes ; rapidement car les balles ne cessaient de siffler. Fred remarqua des soldats-enfants, en guenilles, pieds nus, qui pouvaient avoir tout au plus seize ans.
    — Comment ose-t-on les envoyer se battre nu-pieds ?
    — Tu sais, nos souliers qui prennent l’eau, ça ne vaut guère mieux. Je rêve parfois de chaussettes. Tu te rends compte, rêver de chaussettes !
    — Quand j’ai vu Flora pour la première fois, dit Fred, elle avait aussi les pieds nus. Elle les balançait derrière une charrette de poissonnier. Elle t’a dit ça ?
    — Non. Mais je me doute bien que vous avez des choses drôles, entre vous.
    Au nom de Flora, Germinal se leva, en se pliant pour que son buste ne dépasse pas le parapet.
    — L’inconvénient d’être grand ! Ça ne vaut rien à la guerre. On offre une de ces cibles !
    Il bougonna :
    — On piétine dans la merde. Pas de jumelles pour observer au-delà des tranchées. Pas de cartes. Pas de plans. On court sur les fascistes à l’aveuglette. Le plus fort, c’est qu’on arrive à les battre. Faut vraiment qu’ils soient toquards ! Ou peut-être qu’ils ont peur d’attraper nos poux.
    Fred resta toute la soirée et la nuit avec Germinal qui, après une offensive de la veille, prenait quelque repos. Le lendemain, il partit à la recherche de Durruti, qu’il rencontra dans un abri improvisé par des charpentiers, en un des lieux les plus exposés à la canonnade. Autour de cette casemate, l’activité était intense. L’état-major, en cotte bleue, se composait de militants de la C.N.T. qui transmettaient les directives aux chefs de colonnes. Dès qu’il aperçut Fred, Durruti s’élança vers lui et l’embrassa fraternellement.
    — Toi et Lecoin vous nous avez bien aidés. Le gouvernement de la République se sert de nous, mais ne nous sert pas. Je suis ici avec mes cinq mille hommes pour défendre Madrid. Le gouvernement, qui croit que Madrid va capituler, s’est déjà enfui à Valence. Qu’importe, on tiendra seuls. J’ai distribué à chaque

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