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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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d’ailleurs à sa poursuite lubrique. Les lourdes et envoûtantes tentations de la sexualité le cernaient, comme il se sentait encerclé par les pièges de la Guépéou. Il n’avait pas de liaison, pas d’amourette. Il ne savait même pas qui elles étaient, d’où elles venaient, toutes ces brunes pulpeuses, aux fortes odeurs fauves, qui lui plantaient leurs ongles dans la chair, qui le mordaient comme des chiennes. Il s’enfonçait en elles, comme une baïonnette dans un ventre. La guerre rôdait autour de ces couples éphémères, aussitôt défaits.
    Il songeait de moins en moins à Paris, de moins en moins à Claudine. Même Flora s’estompait. Vue d’aussi loin, Claudine lui réapparaissait de temps en temps, toujours aussi douce et calme, mais bien fade comparée à ces Espagnoles passionnées, passionnantes, qui passaient dans sa vie comme des fusées éclairantes.
     
    Barcelone devenait une ville cosmopolite. Les révolutionnaires du monde entier, de toutes les tendances, s’y regroupaient, s’y affrontaient. Anglais, Français, Américains, se trouvaient maintenant débordés par les Allemands antifascistes et surtout les Russes qui s’implantaient solidement, comme s’ils ne devaient jamais repartir. C’est ainsi que Fred rencontra un soir, sur les Ramblas, un Juif polonais avec lequel il avait eu certains contacts à Moscou et qui arborait à sa boutonnière l’ordre du Drapeau Rouge. En général les Russes qui reconnaissaient Fred Barthélemy l’évitaient. Ignace Reiss s’approcha.
    — Je ne te demande pas ce que tu fais là, je le sais. Inutile de me poser des questions puisque, toi aussi, tu devines ce qui me conduit à Barcelone.
    Ils parlèrent de la Moskova, des églises à bulbes d’or, de la neige, s’abstenant de commenter les événements politiques. À quoi bon ! Fred se laissait glisser dans ses souvenirs. Sa pensée s’en retournait souvent là-bas, du côté des steppes et des forêts de bouleaux ; du côté de Galina, de la Kollontaï, de Gorki, de la Spiridonova, des gardes noirs… Ignace Reiss rendait soudain toute cette ambiance tangible. Ils se revirent plusieurs fois. Reiss s’arrangeait pour que ce soit dans des lieux déserts. Brusquement envoyé en mission, avant son départ, il confia à Fred :
    — Je n’aime pas les anarchistes. Je pense, comme Trotski, qu’ils poignardent la révolution. C’est Nin que je voudrais joindre, mais cela m’est impossible. Alors je compte sur toi. Préviens Nin que la prochaine charrette sera pour lui. Nin et le P.O.U.M. sont condamnés. À eux de se tenir prêts. C’est leur dernière chance.
    Nin se souvenait très bien d’Ignace Reiss qu’il avait fréquenté amicalement à Moscou. Par ailleurs, il était informé que Reiss avait accédé à de hautes fonctions dans les services secrets soviétiques. Il prit donc son avertissement très au sérieux.
    Fred Barthélemy, toujours fort de son expérience à Moscou, exposa aux responsables du P.O.U.M. et de la F.A.I. le scénario probable :
    — Si le P.O.U.M. est éliminé, le tour des anarchistes viendra, puis celui de l’aile gauche des socialistes. Les milices, nos milices qui se battent au front, sont toutes éloignées de Barcelone, alors que l’armée gouvernementale du général Pozas se structure à l’arrière, ici même…
    — Pozas est un militaire de carrière comme Toukhatchevski, dit Andreu Nin. Et comme Toukhatchevski, il fait le jeu des communistes. Quant à la police, elle est pratiquement entièrement noyautée par les staliniens.
    Qui prononça la phrase fatidique ?
    — Avant qu’il ne soit trop tard, fomentons une insurrection qui libérera l’armée et la police de la tutelle communiste.
    Qui ? Nin ? Barthélemy ? Federica Montseny ? Tous ensemble, peut-être ? Toujours est-il que, le 3 mai, militants poumistes et anarchistes se lancèrent à l’assaut des casernes et des commissariats. Fred se trouvait bien sûr parmi eux, avec un vieux revolver et une de ces « bombes de la Faille » dont Germinal lui avait expliqué le maniement. Les combats de rues durèrent une semaine. Le P.O.U.M. et la F.A.I. gagnèrent à ce sursaut de rassembler leurs forces, mais en même temps ils perdirent leur antenne gouvernementale. Le cabinet Negrin, qui remplaça celui de Caballero, se sépara en effet de ses ministres poumistes et anarchistes sous le prétexte propice de la rébellion de leurs troupes contre l’autorité légale.
    La

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