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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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charogne, excrément humain, sale chien, fumier, saleté hybride de renard et de porc. » Tout de même, traiter ainsi celui que les vieux bolcheviks nommaient « notre cristal » ! Comme le cristal, en effet, Boukharine demeurait transparent, sans tache, limpide, au-dessus, au-delà du tombereau d’ordures déversé par le procureur.
    On le condamna donc finalement à mort, seulement pour avoir mal pensé. Mais pour Staline, comme pour Hitler, ne s’agissait-il pas là du mal suprême ?
    Dans la charrette de Boukharine, les maréchaux Blücher et Yegorov, délateurs de Toukhatchevski au précédent procès, et Yagoda qui avait monté le procès truqué de Zinoviev. Yagoda, qui dirigeait tous les services de police depuis dix ans, docile exécutant de Staline et que la raison d’État commandait de supprimer puisqu’il connaissait tous les dessous des premiers procès des compagnons de Lénine. Il s’accusait notamment d’avoir donné ordre au docteur Lévine d’assassiner Gorki. Et le docteur Lévine, chargé de veiller à la santé fragile du vieil écrivain, confirmait sa responsabilité dans la pneumonie fatale de Gorki : « Je l’ai exposé au froid volontairement. » La Pravda écrivait de Yagoda : « Il se tient debout à la barre des accusés, comme un misérable chacal auquel on a arraché les dents. »
    Quatre procès truqués, monstrueux, invraisemblables et, en Occident, non seulement les partis communistes approuvaient, mais les libéraux estimaient ce procédé naturel. Romain Rolland (mais Romain Rolland était perdu) déclarait la Constitution russe « la plus humaine du monde ». Un reporter américain, qui assistait au procès, envoyait des articles enthousiastes, persuadé qu’il revivait la Révolution française avec Staline dans le rôle de Robespierre. L’ambassadeur des U.S.A. lui-même avouait son admiration pour Vychinski dont il disait qu’il « avait conduit le procès de haute trahison d’une manière qui frappe mon respect et mon admiration en tant que juriste ».
    Le monde devient fou, s’angoissait Fred Barthélemy. L’Humanité publiait froidement : « Il faut imiter la vigilance des magistrats soviétiques. Nos camarades espagnols comprendront ce que nous voulons dire. »
    Terrible avertissement. L’assassinat de Nin et de ses compagnons ne suffisait pas. Ni celui de Berneri et de Barbieri. Ni celui de Durruti. Ni celui de Reiss. Maintenant que les adversaires du stalinisme étaient liquidés en Espagne, le tour des bourreaux staliniens allait venir. Inutile de vouloir venger Durruti, Staline se chargeait de liquider lui-même les assassins qu’il commanditait. Ainsi ses monstruosités ne laisseraient pas de trace. Les Russes qui avaient noyauté le parti communiste ibérique étaient les uns après les autres convoqués à Moscou et exécutés dans les caves de la Loubianka : l’ambassadeur Rosenberg, le consul Antonov, l’attaché commercial Stachevsky (négociateur auprès de Negrin pour l’envoi de l’or espagnol à Odessa), le général Bazin (chef de la mission militaire), le général Kléber (alias Gregory Stern), tous ceux que Fred avait vus, redoutés, à Barcelone, passaient à la trappe.
    Lorsque Antonov-Ovseenko qui, en 1917, donna l’assaut du palais d’Hiver, et que les anarchistes soupçonnaient du meurtre de Berneri et de Nin, fut rappelé à Moscou et nommé commissaire du peuple à la Justice, Fred écrivit dans Le Libertaire qu’il était perdu. Il l’était. Lorsque Sloutzky, chargé de former la police secrète espagnole sur le modèle de la Guépéou, fut rappelé à Moscou, Fred écrivit qu’il était perdu. Il l’était. Fred se complut à annoncer ainsi la fin tragique de la plupart des assassins de la Révolution espagnole et, à chaque fois, il ne devançait que de quelques mois les nouvelles de Moscou. Mais qui le lisait ? Le nombrilisme français, indifférent à ce qui se déroulait hors de ses frontières, devenait suicidaire. Le nouveau ministère Blum intéressait beaucoup plus les Français que ces procès à répétition où tous les accusés se déclaraient coupables, intéressait beaucoup plus que cette guerre civile manifestement perdue en Espagne. On avait bien assez à s’inquiéter de la vie chère, de la difficile survie du Front populaire et de ces menaces de casse-pipe qui pointaient à l’est.
    Le découragement envahit lentement Fred Barthélemy. Son métier de traducteur de la langue russe

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