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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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Comme Lev Davidovitch Bronstein, alias Trotski. Comme Vladimir Ilitch Oulianov, lui-même, ce cher Lénine.
    — Eichenbaum ! Je me suis souvent demandé ce qu’il était devenu.
    — Tu le reverras cette nuit.
     
    Jamais Fred ne dissimulait quoi que ce soit à Galina. Tous les deux militants de tendances différentes, ils n’en travaillaient pas moins pour un même idéal. Aussi, lorsqu’il l’informa qu’il rencontrerait dans la nuit ses camarades gardes noirs, cette défiance qui ne lui fit pas mentionner le nom de Voline le surprit. Il s’en voulait et, en même temps, les mésaventures de Pestaña et des trois délégués français le mettaient en garde. La Tchéka avait de grandes oreilles.
    Eichenbaum, transformé en Voline, restait le même. Il ressemblait toujours à un professeur et Fred s’étonna de ne pas voir les poches de sa pelisse bourrées de livres. Il s’étonna encore plus d’apprendre que Voline, élu président de leur Conseil militaire par les insurgés d’Ukraine, était en quelque sorte le principal collaborateur de Makhno.
    Voline tâtait des deux mains les épaules de Fred, lui serrait les bras, comme s’il voulait s’assurer de sa présence physique.
    —  Da ! Da ! C’est bien mon petit Fred. Et qui parle russe mieux qu’un moujik !
    Il l’embrassait sur la bouche, te pressait contre sa poitrine.
    — Mon petit élève qui n’a pas compris, qui se fait couillonner par ce renégat de Kibaltchich.
    — Makhno, demanda Fred, qui est-ce, au juste ? Tantôt on le loue parce qu’il combat les blancs, de concert avec l’armée rouge ; tantôt on le considère comme un ataman, meneur de cosaques sanguinaires, un chef de bande sans idéologie…
    — Makhno vient d’écraser Wrangel. Sans Makhno, Trotski n’en serait jamais venu à bout. Parce que les paysans fuient devant l’armée rouge. Pour eux, c’est l’armée du diable. Ils identifiaient la révolution à un nouveau messie qui partage la terre comme on partage le pain. Et, à la place du messie, la Tchéka s’abattit sur les campagnes, nuée de vautours leur arrachant jusqu’à leurs derniers grains. Un paysan, comme eux, se dressa contre les nouveaux maîtres, aussi bien les nouveaux maîtres que les anciens. C’est Makhno. Le Christ est de nouveau ressuscité.
    — Tu me parais bien mystique.
    — Pour être compris des paysans, il faut employer leur langage. Tout cela n’est que métaphore. Les paysans appellent Makhno « le ressuscité d’entre les morts » et ils n’ont pas tort puisque Makhno, condamné dans sa jeunesse à la pendaison, vit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. La Révolution lui ouvrit les portes de Boutyrki. Dès août 17, il formait un soviet de paysans dans son Ukraine natale. C’est ce soviet qui s’enfla, qui devint la commune libertaire d’Ukraine. Makhno a repoussé avec sa cavalerie de paysans les Autrichiens et les Allemands qui tentaient de s’accaparer l’Ukraine. Il a repoussé l’armée blanche de Wrangel. Maintenant, il se trouve face à face avec l’armée rouge de Trotski. Trotski respectera-t-il nos drapeaux noirs ? Respectera-t-il nos traités d’assistance mutuelle ? Tu sais bien que, lorsqu’on veut pendre son chien, on dit qu’il a la rage. Trotski accuse Makhno d’être enragé ; de chercher à arracher l’Ukraine à la Grande Russie. C’est faux. Makhno ne réclame pas l’indépendance de l’Ukraine, il exige l’indépendance des paysans, de tous les paysans. Il n’est pas nationaliste ukrainien, mais internationaliste libertaire. En Russie, à l’heure actuelle, la survie de l’anarchie ne tient plus que dans la makhnovitchina…
    — J’ai rencontré Gorki. Il croit les moujiks trop arriérés pour comprendre la révolution.
    — Je connais bien Gorki. Il est convaincu que la paysannerie russe, que le peuple russe tout entier, est spontanément anarchiste. Un jour il s’en réjouit, un autre jour il s’en effraie. Tu es tombé sur un mauvais jour. Lénine, lui, au moins, est catégorique. Il l’a écrit : « Les paysans, de par leur essence même, n’existent socialement que sous la direction de la bourgeoisie ou sous celle du prolétariat. »
    Fred ignorait tout de la paysannerie. Ce qu’il en aperçut, lorsqu’il accompagna Trotski dans son train, lui laissait le souvenir d’un monde abandonné et quelque peu répugnant.
    — Lénine exterminera peut-être les paysans, reprit Voline, mais il

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