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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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Voline.
    — Peut-être, conclut ce dernier, toujours aussi grave, ne nous reverrons-nous jamais.
    — Bah ! dit Fred, Victor me serina la même chose lorsque nous nous quittâmes à Paris et aujourd’hui nous travaillons à Moscou dans le même bureau. C’est aussi ça, l’internationale !
     
    Fred appuyait son oreille sur le ventre de Galina et écoutait battre le cœur de l’enfant. Il n’avait jamais eu ce geste avec Flora. Pourquoi ? Pourquoi Flora, l’image de Flora ne lui revenait-elle que sous les traits de la petite fille sautant de la charrette des poissonniers ? Pourquoi n’arrivait-il pas à imaginer Germinal tel que devait être un petit garçon de huit ans ? Huit ans, déjà ! Comment vivaient Flora et Germinal ? Avec qui ? Personne ne retrouvait leur trace. Alors que lui, si loin de Belleville, retrouvait Kibaltchich et Eichenbaum… Lui en Russie, Delesalle à Paris toujours dans sa boutique de la rue Monsieur-le-Prince, il lui semblait qu’il y avait maldonne. C’est Delesalle qui aurait dû vivre à Moscou, lui qui connaissait Lénine, Trotski, Voline, toute la bande. Mais Delesalle continuait à chiner des livres, à classer, reclasser, répertorier les opuscules révolutionnaires. Mais la révolution, bon Dieu ! elle était là. Elle n’attendait pas que la théorie suive. Elle s’enfantait dans le sang, dans les larmes, dans la sueur, dans le froid et la faim. Fred s’exaspérait en lisant les articles parus dans la presse occidentale, même les mieux intentionnés. Presque dix millions de morts, en Russie, pour que la révolution perdure. Dix millions de Russes morts de faim, de froid, de découragement, de misère morale et physique. Aussi irritants, aussi mesquins que soient parfois Lénine, Trotski, Zinoviev et les autres, ne les voyait-il pas se sacrifier eux-mêmes pour ce que tous nommaient d’un mot sacré : « la cause » ? Aucun d’eux ne pensait à s’enrichir, aucun d’eux ne vivait comme un koulak. Même s’ils s’appropriaient le Kremlin, ils y habitaient le plus simplement du monde, sans ostentation, sans aucun luxe. Alors les critiques venues d’Occident, les railleries sur les origines juives de Trotski et de Zinoviev, les quolibets sur les maladresses des bolcheviks à Brest-Litovsk, sur leurs incompétences diplomatiques, sur leurs méconnaissances de l’économie, sur les contradictions du communisme, tout cela le renforçait dans sa conviction qu’il devait assumer loyalement sa tâche de compagnon de route.
    Il avait réussi à faire venir le romancier anglais H.G. Wells, comme le souhaitait Lénine. Invité personnel de Kamenev, Wells se montra choqué par ce qu’il appelait l’impréparation du régime et l’ignorance de ses dirigeants. Il bombarda de questions un Lénine affable, mais déçu. À toutes ses objections. Lénine répondait : « Revenez dans dix ans, vous verrez ! »
    Dans dix ans…
    La rencontre de Voline troublait Fred. Il demanda à Galina d’exposer ses craintes, ses doutes, à Kamenev. Celui-ci le convoqua aussitôt dans son bureau et lui fit des offres à transmettre immédiatement à Voline, à Igor, à tous les responsables anarchistes. Kamenev n’y allait pas par quatre chemins, proposant à toutes les organisations libertaires la légalisation complète de leurs tendances, de leurs clubs, de leur presse, de leurs librairies, à condition toutefois qu’ils épurent un milieu où, disait-il, « se réfugiaient tous les incontrôlables, les aigris, les énervés, les aliénés et quelques contre-révolutionnaires authentiques ».
    Fred s’empressa de communiquer ce message. Il ne put joindre Voline, parti à Kharkov, mais Igor, dans son automobile rafistolée, le conduisit chez les responsables des différentes familles libertaires de Moscou. Tous repoussèrent cette idée d’organisation et surtout de contrôle. Tous dirent qu’ils préféraient disparaître plutôt que de s’organiser en un parti. L’un d’eux les retint longtemps, leur expliquant le mécanisme de la langue universelle qu’il mettait au point pour le jour où la révolution se mondialiserait. Il appelait cet idiome l’Ao. Quelle inconséquence ! Byzance s’interrogeait encore sur le sexe des anges alors que les Turcs campaient le long de ses remparts.
    — Aidons les bolcheviks et les socialistes révolutionnaires de gauche à instaurer d’abord la révolution ici, s’écriait Fred. À nous trois, nous arriverons bien à

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