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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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afférents à la bâtisse ne l’alarmaient pas, il en avait vu d’autres ! Aussi se hâta-t-il d’édifier un abri en charroyant des pierres soustraites à la loge effondrée. Sur cette construction étayée de baliveaux, il empila plusieurs strates de branchages. Il n’y avait plus qu’à collecter le mobilier et un poêle, dont le tuyau s’insérerait entre les tôles prêtes à être placées sur le toit.
    — J’ai le gîte, j’ai le couvert, je suis un richard, mon Jeannot !
    Bringolo exultait, au bras de son copain, à qui il était venu indiquer son adresse de la rue Corvisart. Dès qu’il aurait fignolé son installation, il l’inviterait à pendre la crémaillère et ils dégusteraient une platée de nouilles à s’en faire péter la sous-ventrière.
    — En attendant, allons nous rincer la glotte dans un abreuvoir des fortifs, je régale !
    Alors qu’ils atteignaient le sommet d’une butte, ils tombèrent sur un campement de romanichels. Un demi-cercle de roulottes peintes de couleurs vives où vaguaient des chiens les accueillit. Accrochées au-dessus de feux à l’odeur âcre, des marmites fleuraient bon le ragoût. Des femmes élancées, au teint cuivré, tordaient des lessives ou écossaient des haricots, repoussant d’une taloche une marmaille occupée à se battre en hurlant. Des hommes fumaient d’un air hautain. Adossé à un piquet auquel était attaché un âne, un vieillard tressait un panier. On les convia à dîner, ils acceptèrent. Bringolo se sentait chez lui parmi ces nomades, il les enviait d’avoir une véritable baraque, roulante de surcroît. Jean-Pierre Verberin, d’abord effarouché par leur langage guttural et leurs manières abruptes, se rasséréna quand on lui versa dans un gobelet un calva fabrication maison. Deux fillettes déguisées en coquettes minaudèrent autour d’eux, tapant sur des casseroles, leurs jupons retroussés.
    — Z’ auriez pas un sou, monsieur, pour la noce ?
    — La noce ? Quelle noce ? demanda Jean-Pierre Verberin.
    — Ben la noce en toc, avec eux !
    Les gamines se trémoussaient et désignaient deux garçons attifés en gentlemen, pantalons trop serrés et melons trop larges.
    — Fichez-nous donc la paix, bande de vauriens ! rugit une matrone empêtrée dans trois châles. Un verre de piccolo, m’sieu ? Il est gaillard !
    — J’ dis pas non ! articula Bringolo, un tantinet éméché. Ah ! Jeannot, c’est ça, la vie ! Une tribu, des cambuses qui se baladent partout, et des gonzesses ! Ça manque, une femme. Quand je serai dans mes meubles, j’irai en quérir une.
    Bringolo siffla sa troisième rasade. Il songeait à Louise, qui lui avait fait découvrir l’amour plus de trente ans auparavant. Elle avait incarné tout ce qu’il tenait pour valable autrefois et qu’il avait banni de son existence. Il avait cru son avenir brisé le jour où elle lui avait enjoint de partir. L’image qu’il en gardait s’était obscurcie, il ne pouvait se rappeler l’inflexion de sa voix, et ses traits étaient flous dans sa mémoire. La blessure qu’elle lui avait infligée appartenait à une histoire lointaine, mais parfois, il ressentait une étrange mélancolie, cela ressemblait à un rêve paisible. Il se souvenait du nom du patelin, La Trimouille, une bourgade près d’une rivière qui serpentait sous la feuillée. Elle se nommait comment cette rivière ?… La Benaize ?… Oui, la Benaize. Oh ! Ces promenades en barque, pressé contre les seins de Louise ! Elle était belle, cette Louise, on la disait un peu sorcière, un peu folle. Un matin, elle avait lu dans sa main.
    — Toi, mon blondinet, aucune femme ne te passera la corde au cou. Tu verras du pays, et puis tu deviendras vieux, tu t’envoleras et tu monteras droit au ciel. Si tu savais, c’est magnifique derrière les nuages !
    Quand il avait quitté l’orphelinat de Montmorillon, Jean-Baptiste Bringart n’était pas encore Bringolo. Il avait quatorze ans. C’était un garçon imberbe, aux cheveux ras, au regard plein de curiosité, en route pour Châtellerault où il devait entrer au service d’un menuisier. Mais après tant d’années de réclusion sous la férule quasi militaire de religieuses en cornette, il brûlait de faire l’école buissonnière.
    — Ah ! C’était l’bon temps, Jeannot. À chaque étape de mon périple, je trouvais des petits boulots. L’été, quand j’avais faim, j’me posais dans un pré, un bois, ou

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