Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
Bref, je suis sur la corde raide.
    Il épousseta les miettes collées à ses manches et se leva.
    — Je vous remercie de vos largesses, je vous rembourserai dès que possible. Oh ! Pendant que j’y pense…
    Il coinça entre la cafetière et une tasse deux cartons d’invitation.
    — Une exposition à voir absolument. J’y dispense ma modeste contribution, il y aura des aquarelles, des tableaux, des sculptures. Des huiles, dont Rodin, se sont engagées à venir. Le vernissage se tiendra au café Procope après-demain à partir de sept heures du soir.
    Tasha parcourut un bristol sur lequel s’alignaient plusieurs noms. Encore lui !
    — À la prochaine ! Je dois rencontrer un copain place Saint-Sulpice, jeta Maurice Laumier, soulagé de fuir les chatteries de Kochka.
    — Attends ! Je m’habille et je file chez un acheteur quai Conti, je t’offre le trajet, dit Tasha, sans remarquer la physionomie déconfite de Victor.
    — Tu ne m’avais pas averti.
    Elle l’embrassa et lui chuchota à l’oreille :
    — Un Londonien de passage à Paris, appuyé par Sir Reginald, excuse mon étourderie. Je te promets de rentrer avant midi, mon chéri.
    — Inutile de courir, je consacre la journée à la librairie.
    Découragé, Victor les observa gagner le porche : l’intrus qu’il s’efforçait de supporter et Tasha, toujours aussi prompte à prendre la clé des champs. Kochka quémanda une caresse, il la gratouilla sous le menton.
    — Salut, Vendredi, je m’appelle Robinson… Armons-nous de stoïcisme, ma douce, murmura-t-il.
     
    Aux abords de l’Opéra, le fiacre s’englua dans un bouchon dû à la collision d’un tramway à vapeur et d’une voiture de livraison. Après avoir vilipendé ces mastodontes qui, non contents d’empuantir la capitale, représentaient un danger public, le cocher se résigna et, son tube incliné sur le front, bras ballants, somnola sur son siège. Tasha rabroua Maurice Laumier dont les mains s’égaraient.
    — Donc, tu es ratissé ? lança-t-elle, les sourcils froncés.
    —  J’ai des hauts et des bas. Septembre nous a enfoncés dans la mouscaille, Mimi et moi, mais l’opulence est imminente. Un de mes poteaux est en cheville avec un commerçant spécialisé dans la vente de croûtes destinées aux bourgeois qui envisagent de décorer leur intérieur à l’économie. Ces gens refusent d’investir dans le moderne, ils n’aiment que le classique, tu me comprends ?
    Il l’enlaça et récolta une chiquenaude.
    — Teigne ! Tu tiens vraiment à te chamailler avec ton vieux complice dans cette ville de perdition ? Pourquoi cette agressivité ?
    — Une punition pour ta muflerie et l’abdication de ton idéal. Tu tenais des propos différents quand tu nous assommais avec Berthelot et ses expériences de chimie organique !
    La véhémence de Tasha sembla dissoudre l’embouteillage, le fiacre repartit cahin-caha.
    — Ça te va bien, la morale, toi qui as épousé un type à l’abri de la débine. Je n’ai pas renoncé, tout est là, en veilleuse.
    Il se vissa l’index sur la tempe.
    — Seulement, d’ici à ce que les Beaux-Arts m’autorisent à vivre décemment, je vais travailler chez moi, à la grosse.
    — A la grosse ?
    — Je t’explique : les commandes concernent une douzaine de sujets identiques. Les peintres – je suis membre d’une équipe de paysagistes – se cantonnent à trois modèles. J’ai choisi une vallée arrosée d’une rivière, une flottille de pêche dans un port breton et un mariage à la campagne. D’aucuns exécutent des natures mortes, des scènes de chasse, des clairs de lune en montagne, n’importe quoi. Je me sens apte à torcher un chef-d’œuvre en douze heures. Au début, ce ne sera pas le pactole, la toile de quarante sur trente-trois centimètres ne me rapportera que trente centimes, et par-dessus le marché je fournirai les couleurs.
    — Lamentable !
    — Je suis d’accord. C’est pourquoi je me hâterai de me mettre à mon compte. Mes gouaches se vendront à la criée, douze, quinze francs la paire, encadrées, ma chère, avec dorure. Juge de l’effet apaisant dans une salle à manger.
    — C’est pire ! Maurice, tu vas dilapider ton talent.
    — Mimi et moi aspirons à un peu de confort. Ça t’épate, hein ? Mais voilà, on en a marre des soupes du fruitier de la rue Norvins. Quand j’aurai réalisé ma pelote, je louerai un atelier digne de ce nom et on découvrira mes remarquables

Weitere Kostenlose Bücher