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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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dans le cou le couteau…
    Il y eut un craquement. Tout d’abord, il ne sut pas s’il l’avait vraiment entendu ou s’il l’avait imaginé. Il resta sans bouger pendant quelques instants, puis il se retourna. Mais il n’y avait rien à voir, sinon sa cabane, des taillis et des arbres.
    — C’est le feu qui pétille.
    Au moment où il reprenait sa lecture, il perçut de nouveau le bruit.
    — Hé, camarade, c’est toi ?
    Un sifflotement lui répondit. Il connaissait cette ritournelle, une chanson apprise à l’orphelinat de Montmorillon. Le réfectoire gris souris aux fenêtres grillagées et les traits fripés de sœur Marie-Dominique en train de s’échiner sur son harmonium lui apparurent furtivement. Il cligna des paupières. Brusquement une forme jaillit de la brume, se dessina à ses côtés, incertaine, comme une entité éthérée.
    À la lueur des flammes, il distingua un visage grimaçant, puis une main levée qui brandissait un marteau. Il voulut se redresser, un cri mourut sur ses lèvres, le marteau s’abattit sur lui, un éclair explosa sous son crâne. Il bascula en avant. Le livre qu’il tenait sur ses genoux fut projeté dans l’herbe à la page qu’il lisait.
     
    — Monette, Monette, ma Monette chérie, j’espère que le petit Charlot va prévenir Bringolo à temps et qu’il ne m’en voudra pas. Il a dû se démener, le pauvre…
    Courbé au bord du lit, Jean-Pierre Verberin reposa le portrait de son épouse. Trois ans qu’elle était partie. Ç’avait été bien triste d’être devant sa tombe et de jeter la terre sur son cercueil. C’était surtout le soir qu’elle lui manquait. Ce n’est pas qu’elle fût bavarde, mais être assis près d’elle, la regarder piquer à la machine, savoir qu’il lui appartenait, qu’ils avaient fait leur fils ensemble valaient tous les mots d’amour. Quand leurs yeux se croisaient, ils disaient un tas de choses… Comme une mélodie dont on ignore les paroles.
    Il avait résilié le bail de l’appartement de la rue Saint-Paul, désormais trop vaste pour un homme seul. Son fils André vivait à Lyon, il écrivait une fois l’an, promettait de venir…
    Jean-Pierre Verberin avait élu domicile dans une rue du quartier de la porte de Brancion, un meublé vétuste presque décent dans sa modestie. Sa médiocre pension lui permettait à peine d’assumer les frais du loyer et de la nourriture. Lorsqu’on montait les escaliers, une odeur méphitique picotait la gorge. Les « lieux » gîtaient au fond d’un corridor à la peinture écaillée, barbouillée d’insanités. On allait quérir l’eau à la fontaine publique, à deux cents mètres de là. Jean-Pierre Verberin occupait une chambre minuscule et une cuisine sans aération plus minuscule encore, le tout pour cent vingt francs par an.
    Appuyé au dossier d’une chaise, il se traîna à la fenêtre. C’était bête, cette crise de rhumatisme. Ses reins le lâchaient, conséquence du travail de commis expéditionnaire confiné dans un local administratif privé d’âme. Une vie consumée entre des montagnes de chemises poussiéreuses, cassé en deux sur un pupitre parsemé de tampons et de paperasses. Il considéra la callosité de son médius, déformé à force d’avoir tenu le porte-plume. Combien de points, de virgules, de points-virgules, d’accents graves, circonflexes ou aigus ? Combien de voyelles, de consonnes avait-il tracées de son élégante calligraphie ? Des millions ?
    Heureusement il y avait l’équipée hebdomadaire avec Monette vers le jardinet de Gentilly. Bêcher, planter, respirer à pleins poumons. Le soir, ils étaient moulus, mais quel plaisir de rapporter à la maison des paniers de légumes et de fleurs !
    « Pourvu que Charlot ne s’égare pas dans le parc. »
    C’était le fils aîné de Mme Lucette, la voisine qui s’épuisait en surfilages. Elle avait trois gosses au foyer et en dépit de la paye que lui remettait Charlot, elle avait beau se décarcasser, elle ne retombait jamais sur ses pieds. À douze ans, Charlot coupait le cuir chez un cordonnier. M. Lucette était régulièrement en prison. On venait de l’interpeller devant la Samaritaine sous prétexte qu’il s’adonnait sans patente à la vente de lacets et de cordons de souliers. Concurrence déloyale, trafic éhonté, insulte aux représentants de l’ordre : quatre mois ferme à Poissy. Ça faisait un trou de douze sous dans le budget. C’était, Jean-Pierre

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