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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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vêtu de bure évangélisait des sauvages. À sa droite, un Benoît Labre hirsute emmailloté de lambeaux crispait sur son flanc un poing noueux et un saint Roch flattait un chien aux yeux globuleux. Plus ils avançaient, plus ils se heurtaient à un aréopage d’anges aux robes semées d’étoiles d’où jaillissaient des ailes. Un vieux chanoine priait dévotement au pied d’une Vierge à l’Enfant dont un maître coloriste ornait de rosaces la tunique bleue.
    — Monsieur Forestier, je suis fort aise de vous voir. La sainte Rose de Lima qu’on est en train d’emballer pour le Brésil, on y ajoute un trousseau complet ?
    — Exact, la facture a été réglée.
    Incrédule, Maurice Laumier s’approcha d’une statue de tilleul, aux pupilles en émail et aux pommettes enluminées, enveloppée de velours rouge rehaussé de broderies.
    — Un truc comme ça, ça n’a pas de prix !
    — Que si, mon poteau ! Le manteau vaut mille cinq cents francs, la tunique dans les neuf cents et la lingerie cinq cents. On pourrait se goberger de janvier à décembre avec le coût de cette garde-robe.
    — De la lingerie, pour une sainte, tu plaisantes ?
    — Cette princesse a des dessous similaires à ceux d’une Parisienne, chemises, chemisettes de batiste, jupons, bas de soie noire, souliers de satin.
    — C’est donc ça que tu sculptes ?
    Michel Forestier acquiesça.
    — Je ne me consacre qu’aux moules dans lesquels on coule le plâtre destiné aux saints Nicolas. C’est l’essentiel de mon boulot ici, avec la coordination des expéditions à l’étranger.
    — Et c’est lucratif ?
    — Il y a une clientèle si assidue que j’ai ouvert un petit atelier personnel. J’ai mis de l’eau dans mon vin de messe, figure-toi, j’avais trop besoin de briffer, marmonna Michel Forestier qui pénétra dans un hall vitré où il donna des instructions à un apprenti fignolant la chevelure d’un saint Joseph.
    — Viens, je t’emmène chez un bougnat qui va nous préparer un grog à la cannelle, tu m’en diras des nouvelles.
    Ils descendirent à l’entresol d’une boutique occupant l’angle de la rue du Vieux-Colombier et de la rue Bonaparte. Attablés devant des verres fumants, ils évoquèrent un passé dont le temps avait effacé les aspérités.
    — Cette expo du Soleil d’Or que tu avais organisée, quel souvenir ! J’avais des acheteurs, je ne roulais pas sur les pièces de cent sous, mais je n’en étais pas réduit à fabriquer des bienheureux béatifiés en série.
    — Kif-kif pour mézigue ! Tu n’imagines pas le nombre de tableaux médiocres qui se vendent ! Le goût du public est au ras des pâquerettes, quelle époque ! L’Amérique et l’Australie en redemandent, sans parler de la France où ces abominations se bazardent à tire-larigot. Enfin, en dépit de ce triste constat, j’espère m’en tirer moi aussi. À partir de vingt francs, on peut apposer sa signature, alors si jamais tu distingues un « A. Thalie » en lettres gothiques, tu sauras que ton serviteur est l’auteur.
    — Mais… c’est le nom d’une héroïne de Racine !
    — Chez les Grecs, la muse Thalie régnait sur les agapes et se moquait des faiblesses humaines. Admets que c’est chic : Alain Thalie, un artiste prometteur, qui va s’acoquiner avec un commissaire-priseur, et qui gagnera douze francs sur les vingt d’une vente. Au cas où tu voudrais en apprendre plus long et où tu posséderais un costume moins élimé…
    Maurice Laumier offrit un bristol à Michel Forestier.
    — Il y aura des petits-fours, des marchands, des célébrités. Auguste Rodin a été convié au Procope par un certain Kampers.
    — Quoi ! Rodin ? C’est un sculpteur de génie ! J’ai admiré son buste de Puvis de Chavannes, un grand peintre : Rodin a présidé l’an dernier à l’ hôtel Continental un banquet donné en l’honneur de son soixante-dixième anniversaire, j’ai réussi à m’y faufiler… Je viendrai !
    Prétendant s’intéresser à une passante en toilette d’astrakan pressée de grimper dans l’omnibus de la Villette, les deux amis se prirent à rêver. Maurice Laumier enviait le talent de Gauguin, son idole, reparti pour Papeete fuir « l’éternelle lutte contre les imbéciles ». Michel Forestier se voyait recevant commande d’un Balzac en pied et refusant un dîner chez les Daudet ou les Goncourt parce qu’il croulait sous le travail.
    Sans qu’aucun des deux ne s’en

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