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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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aptitudes.
    Tasha ébaucha une moue sceptique mais ravala ses commentaires. Elle eut la vision fugitive de son ancienne chambre sous les toits, rue Notre-Dame-de-Lorette, avant que Victor et elle ne tombent amoureux. De quel droit condamner un camarade moins chanceux qu’elle ? D’ailleurs, ce n’était pas la carrière de Maurice Laumier qui l’avait incitée à l’accompagner.
    — Cette exposition au Procope va réunir pas mal de monde. Les autres artistes, je les connais ?
    — Juste deux ou trois. Il y aura beaucoup d’étrangers, une Écossaise qui adule les bergers en kilt, un Roumain qui voue un culte à Diderot et en a modelé un nombre de bustes suffisant à paver les rues de Montmartre, un Belge fou de corons sous la pluie… Jamais entendu parler, pas plus que du statuaire italien, des deux Allemands, dont l’un s’est taillé un succès à Berlin, ou de la miniaturiste grecque.
    Le fiacre roulait à belle allure rue de Rivoli, et la vitesse attisa les ardeurs du peintre. Un baiser échoua à se poser sur la joue de Tasha qui avait anticipé la manœuvre.
    — Quoi, pas même un malheureux bécot en souvenir des années d’antan ? La Chapelle de Thélème, le Bibulus … Et ce tableautin que j’avais achevé en quelques séances de pose, tes seins si rondelets ! Oh, je prévois un mauvais virage, je subodore un poupard agrippé à cette poitrine !
    Elle rit malgré elle.
    — Tu te trompes.
    — Pas d’enfant en perspective ?
    Rembrunie, elle se rongea l’ongle du pouce, de sorte que son gant de dentelle déjà abîmé se troua davantage.
    — Tu ferais une mère parfaite.
    Tasha se sentit acculée à la panique, elle refusait de penser à ce genre de chose, mais il insistait, le goujat !
    — Un bébé… Oui… Je serais obligée de lâcher mon travail. De toute façon…
    Comment lui avouer qu’elle adorerait avoir un bébé, mais qu’à chaque tentative ses attentes étaient déçues ?
    Elle eut un geste signifiant son impuissance à forcer le sort.
    — Excuse-moi si je t’ai blessée. Je suis stupide. Tu me pardonnes ?
    — Naturellement, à condition que ma mansuétude se résume à une poignée de main… En un sens, cela m’arrange.
    — De me serrer la pince ?
    — Mais non, idiot ! Que nous restions libres, Victor et moi, tant que nous nous comblons mutuellement et que nos passions respectives nous aiguillonnent.
    — Dommage que ton libraire m’ait évincé, ma poulette. Ton énergie et ta séduction m’auraient permis de surmonter mes déboires.
    — Pas de regrets, tu as Mimi, une amante soumise. Nous deux, ça n’aurait duré que six mois. Je suis arrivée. Tu régleras la course, dit-elle, abandonnant un billet sur son coin de banquette.
    — Vivement l’expo, je compte sur toi ! cria-t-il.
    Tasha patienta jusqu’à ce que le fiacre eût disparu puis elle en héla un second. Aucun ami de Sir Reginald ne logeait quai Conti, elle n’avait inventé cette faribole que dans l’espoir d’en savoir plus à son sujet. Elle reprit le chemin de la rue Fontaine, résolue à se rendre au Procope afin d’en avoir le cœur net.
     
    — Michel ! Hé ! Forestier ! Désolé de ce retard, c’était pour la bonne cause, j’ai les dix francs que je te devais.
    Au débouché de la sinueuse rue Férou était piqué un gaillard en pantalon de drap et paletot, plongé dans la contemplation de deux sphinges de pierre gardant la porte d’un hôtel particulier. Il tourna vers Maurice Laumier une face imberbe couronnée d’une tignasse drue.
    — Tu m’as reconnu de dos ?
    — Pardi ! Je t’ai identifié à travers l’accroc de ton gilet. Je t’invite à boire un coup ?
    — Concède-moi une étape au magasin pour m’assurer que la prochaine livraison est prête, et je suis ton homme.
    Michel le mena rue Saint-Sulpice où se bousculaient des boutiques vouées aux chasubles, aux chaussures, aux chapeaux ou aux ouvrages liturgiques, antiphonaires ou missels parés de reliures chamarrées, sans oublier les images pieuses et les cierges. L’une de ces échoppes, emplie d’un peuple d’effigies religieuses, les engloutit. On entrevoyait dans ses replis obscurs la cornette blanche d’une sœur de la charité ou la capote à brides d’une douairière, en extase devant une sainte Thérèse en habit de nonne pâmée auprès d’une Jeanne d’Arc en costume guerrier. Maurice Laumier ne savait où donner de la tête. À sa gauche, un François Xavier

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