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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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aperçût, un fiacre ralentit et une manche enjolivée de dentelle se dessina derrière une vitre embuée.
     
    Échanger deux mots avec n’importe qui, il n’en demandait pas plus. Ah, si ! Jouir d’un peu de clarté, au lieu de moisir au sein de ce bain d’encre, ne pas croupir dans un brouillard qui abolissait la durée. Alphonse Ballu eût été inapte à préciser la date de cet enfermement. Comme un estropié qui sans cesse revit la chute responsable de son infirmité, les minutes précédant sa perte de liberté l’obsédaient. On le tuait à petit feu, on s’acharnait gratuitement sur lui pour le plaisir d’assister à son dépérissement. Quel crétin il avait été ! Accorder sa confiance comme ça, tout de go ! Grimper dans ce fiacre pour une destination mystérieuse !
    Quand il avait recouvré ses esprits il était assis, adossé à une surface rugueuse et il n’y voyait goutte. Cette saleté de bandeau sur les yeux avait aggravé le sentiment d’impuissance procuré par les cordelettes qui lui entravaient poignets et chevilles. Il avait tendu l’oreille. Combien étaient-ils ? Où étaient-ils ? Il devait risquer le tout pour le tout. Laisser une trace. Son portefeuille ? Ses clés ? Son mouchoir ? Son peigne ? Il avait soulevé ses poignets garrottés, tâté son veston. On l’avait délesté. Un soulier ? Oui, un soulier ! Mais les liens maintenaient ses jambes si serrées qu’il n’avait pu se déchausser. Ils allaient revenir. Ses ravisseurs exigeraient-ils une rançon ? En ce cas, il était fichu. Il avait plié l’échine et écarté son bandeau. Le site s’apparentait à un cloaque parsemé de détritus végétaux. Un bois ? Une décharge ? Paniqué, il avait scruté le sol. Là, sous un buisson, cette tache claire. Vite, vite, agir avant qu’ils… La carte ! Il l’avait sentie contre sa cuisse, piètre bouée de sauvetage ! En se contorsionnant, il avait pu l’extirper entre deux doigts hors de son pantalon, puis il avait sautillé sur les fesses jusqu’à la tache. C’était un livre. Il s’était arrêté, épuisé, et avait étiré ses bras pour conjurer la crampe qui lui mordait les vertèbres. Encore un effort ! Il était parvenu à poser la carte sur une page du livre ouvert et, d’un coup de pied, l’avait enfoui en partie sous un paquet de feuilles mortes. Vite, reprendre sa place initiale, rajuster son bandeau. Il était temps.
    On l’avait poussé sans ménagement dans cet endroit dépourvu de fenêtres, humide et nauséabond, où un poêle à sciure dispensait une chaleur intermittente. On le nourrissait deux fois par jour de pain rassis et d’un brouet qu’un chien aurait dédaigné. Dans quelle intention lui rabâcher, sans lui donner l’occasion de riposter, que sa délivrance était imminente, qu’il serait regrettable de désespérer, que dès qu’on aurait mis au point la manière dont on utiliserait ses services on le relâcherait ? Il avait entrevu un moyen de survivre en exagérant l’importance de sa position. Cela suffirait-il à le soustraire à ce cauchemar ?

 
CHAPITRE VII
    Même jour, librairie
     
     
    Victor broyait du noir. Le départ précipité de Tasha l’avait accablé d’un de ces spleens dont il était coutumier, lui ôtant brusquement confiance en soi et en l’avenir. Il avait enfourché sans entrain sa bicyclette et avait atteint la boutique avec une demi-heure de retard. Le travail constituait un antidote efficace à ces crises de neurasthénie, aussi profita-t-il de l’absence de Joseph pour trier et ranger en paix une tomaison de reliés. Kenji paressait au premier, signe qu’il s’était couché à une heure indue. Victor en devinait le motif, mais préférait feindre l’ignorance.
    Sa quiétude fut de courte durée. Un ex-professeur de chimie au Collège de France, voûté et chancelant, trébucha sur le seuil de la librairie. Grâce à sa canne, il reconquit un équilibre précaire, et ce fut en boitillant qu’il infligea sa maigre carcasse auréolée de mèches grises à un Victor abattu.
    — Bonjour, monsieur Mendole, ça va bien ?
    — Bien ? J’ai failli vivre mon heure ultime quai Malaquais pendant ce stupide ouragan, les tuiles pleuvaient autour de moi, j’avais des cochonneries plein mon chapeau et j’ai cru devenir borgne ! Vous voyez cette balafre près de mon œil droit ? C’est une branche qui m’a dégringolé dessus !
    — Il y a beaucoup de dégâts et de besogne

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