La momie de la Butte-aux-cailles
ami, le militaire collectionneur de médailles, hélas, il n’a pas été fichu de me renseigner.
— Alphonse Ballu ? Ma concierge le suspecte d’être votre… intime.
Victor s’était exprimé d’un ton flegmatique, mais il jubilait.
« Il était écrit que je débusquerais la vérité, après tout. »
— Taratata ! Cette courge ? Sec comme un écouvillon, astiqué comme une crosse de fusil, anguleux comme un plan de redoute ! Rond-de-cuir au ministère de la Guerre, mon idéal ! Moi qui vénère les aventuriers athlétiques ! Vous plaisantez, je présume. De toute façon, je me prive dorénavant de la bagatelle. Les hommes, ça n’attire que des contrariétés.
— Certains renvoient le compliment aux femmes… Serait-ce me conduire en tracassier masculin si je vous priais de m’autoriser à noter ce que recèle le carnet ?
— Au contraire, monsieur Legris ! Ne me confondez pas avec ces finaudes qui, sans conteste, vous tournicotent autour. Je vous estime, et j’ai confiance en vous. Ah, si j’avais trois ou quatre ans de moins…
Soucieux de couper court aux avances de tata Bric-à-brac, Victor, qui n’attachait pas d’importance à cette suite de mots et de numéros, les recopia dans son calepin, sûr qu’ils provoqueraient l’émoi de Joseph.
Avant de se soustraire à la brocanteuse, il insista pour se laver les mains, imprégnées d’un aigre fumet.
CHAPITRE VIII
16 septembre
La Butte-aux-Cailles émergeait de sa torpeur. Jean-Pierre Verberin s’engagea dans une rue sans trottoirs, aux pavés déboîtés entre lesquels ruisselait une lie nauséabonde. De loin en loin, accrochée à une potence saillant d’un mur, la lanterne d’un bec de gaz hébergeait une lueur vacillante. Les habitations, rapetassées de pièces de zinc, menaçaient de choir sur les passants. Une femme vida un seau hygiénique devant une maison dont les fenêtres avaient été blanchies à la céruse. Des portes claquèrent, des bébés vagirent, un coq fanfaronna sur un cageot. Rue Barrault, des marchands de poussier et des manœuvres s’égaillaient en proférant des obscénités.
Des immeubles se substituèrent aux masures. À présent les réverbères fleurissaient à même le trottoir. Des cheminées d’usine expiraient leurs fumées grises. Des voitures de laitiers, lancées dans une course sauvage, secouaient leur quincaillerie. Une porteuse de pain traînait sa charrette.
Des boutiques éclairées au pétrole. Le ferraillement d’un omnibus. Un boulevard. Quel boulevard ?
— Celui d’Italie, martela un ouvrier issu du flot des travailleurs qui sillonnaient le quartier avec à la main des outils et des paniers contenant leur déjeuner.
Jean-Pierre Verberin touchait au but. Bien qu’il répugnât à s’aventurer hors de son fief, il s’était résigné à cette expédition rue Corvisart. Il déplorait d’avoir fait faux bond à Bringolo et tenait à se disculper. La lettre confiée à Charlot dans laquelle il lui donnait les raisons de sa défection et le conviait à déguster un haricot de mouton le dimanche, porte de Brancion, ne lui était jamais parvenue, le gamin ne l’avait pas trouvé au gîte.
Jean-Pierre Verberin n’eut aucune difficulté à repérer la jungle dépeinte par Bringolo. De hauts murs en interdisaient l’accès. Il hésita. Les franchir équivaudrait à violer une propriété privée, de toute façon ses douleurs lombaires rendaient l’escalade impraticable. Quelques minutes lui furent nécessaires avant qu’il n’avisât l’orifice qui débouchait sur un fouillis végétal nappé de brume. Courbé en deux, il se hasarda dans l’herbe.
Il progressait avec prudence, se retenait aux branches griffues, évitait les racines. Il trébucha sur des déclivités ou des marches glissantes. Au bord d’une mare il piétina une berge boueuse et s’étala à plat ventre.
Avec force imprécations, il se remit debout. Son pantalon trempé se plaquait à ses cuisses, le froid s’infiltrait sous ses vêtements, il souffrait des reins, mais il ne pouvait repartir sans s’être excusé auprès de Bringolo. Il continua donc.
Comme il s’enfonçait sous les boqueteaux, il se sentit mal à l’aise. On l’observait. Il fit volte-face. Personne. Il discerna la statue lézardée d’une femme.
Au centre du bassin un piédestal supportait un fardeau imprécis et… là-bas, cet amoncellement de pierraille et d’abattis, le palais de
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