La momie de la Butte-aux-cailles
soufflées et ce fut au jugé que Victor et Joseph rabattirent leur proie vers un bosquet de coudriers. Ils se jetèrent sur un homme qu’ils n’eurent aucun mal à maîtriser.
— Je vous en prie, épargnez-moi, implora-t-il.
Ils l’entraînèrent sans trop de résistance jusqu’au mur séparant la propriété de la rue Corvisart. Sous la clarté blême d’un réverbère, ils détaillèrent leur prise : un homme chétif, la cinquantaine, le front et les joues sillonnés de rides profondes, le crâne auréolé de cheveux gris, l’œil sombre.
— Qui êtes-vous ? Que fabriquez-vous ici ? gronda Joseph.
— Allez-vous le lâcher, butors ! piaula une voix haut perchée.
Elle appartenait à une jeune femme blonde et frisée dont le regard furibond eût souhaité changer en statues de sel Victor et son acolyte.
— En voilà une autre ! Y en a encore beaucoup en réserve ?
— Nous sommes ensemble, Jean-Pierre et moi, nous cherchons des amis, il y a une loi qui l’interdit ?
— Dans une propriété privée ? Qui cherchez-vous ?
— De quoi je me mêle ! On n’a rien fait, dit la blonde. On essaie de retrouver M. Bringart et M. Ballu, à supposer qu’ils soient quelque part aux alentours.
— Ballu ? Vous avez dit Ballu ? Alphonse Ballu ?
— Vous le connaissez ? interrogea la femme, sidérée.
— Et comment ! C’est le cousin de la concierge de l’immeuble à côté de la librairie.
— Joseph, taisez-vous deux minutes, je vais m’efforcer d’être plus précis. Mais d’abord, les présentations. Je me nomme Victor Legris, et voici mon beau-frère et associé, Joseph Pignot.
— Et écrivain, glissa Joseph.
— Je suis Jean-Pierre Verberin, cette demoiselle, Lucy Grémille, est la fiancée de M. Ballu.
— Fiancée, c’est un grand mot, objecta Lucy.
Une demi-heure plus tard, l’ex-copiste et la coiffeuse, s’interrompant l’un l’autre et eux-mêmes coupés à intervalles réguliers par Joseph, avaient cahin-caha reconstitué l’installation, puis la disparition de Jean-Baptiste Bringart, dit Bringolo, dans le terrain vague. Alphonse Ballu s’était lui aussi volatilisé, sans qu’on fût positif quant au lien unissant les deux manquants, sinon une carte-réclame vantant les mérites du salon de coiffure où s’éreintait Mlle Grémille.
— Donc le trimardeur qui a vendu la carpe à Adélaïde Lesueur s’appelle bien Bringolo, constata Joseph.
— Quelle carpe ? demanda Lucy Grémille.
— Oh, rien ! Et vous affirmez qu’il habite cette propriété ?
— Oui, confirma Jean-Pierre Verberin. Il s’y est installé à la mi-août, quand on m’a expulsé de ma cabane de Gentilly.
Joseph demeura songeur. Et si le siffleur n’était autre que ce Bringolo ?
« Quel est son rôle ? Ce serait intéressant de lui mettre le grappin dessus. »
Il garda ses réflexions pour lui et enchaîna :
— Nous détenons une preuve du passage ici même d’Alphonse Ballu. Un bouton d’uniforme, j’ai vérifié, c’est le jumeau de ceux qui sont cousus sur sa tenue de rechange. S’il a zyeuté les immondices qui moisissent au sous-sol, il a dû prendre ses jambes à son cou !
— Quelles immondices ?
— Ce genre d’article, répliqua Joseph, qui entortilla sa dextre dans son mouchoir avant d’extraire avec précaution du cabas une main décharnée récoltée dans la cave.
Lucy couina et s’accrocha à l’épaule de Jean-Pierre Verberin, qui n’en menait pas large.
— Un cadavre ! glapit-elle. Découpé en morceaux !
— Je penche plutôt pour des débris animaux entreposés en un lieu où, en principe, nul ne suspecte leur existence. Il pourrait s’agir d’un trafic de fausses momies, expliqua Victor.
— Et Alphonse serait impliqué ?
— Soit il est sur les traces des coupables, soit il dépend de leur bande, repartit Joseph.
— Lui ? Impossible ! Il est trop gentil, et, excusez-moi, trop ballot.
— M. Mori, mon beau-père, assure que le crime naît de l’accouplement de l’idiotie avec la cupidité.
— Tant pis pour M. Mori ! Alphonse serait incapable d’écraser une mouche.
— Pour un militaire, c’est le comble ! marmonna Victor.
— Je veux bien vous croire, mademoiselle, sauf si cette mouche était la gardienne d’un trésor. Prenez celles qui permettent aux paysans de repérer les truffes et…
— Monsieur, je crains néanmoins que mon ami Bringolo n’ait été tué, intervint
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