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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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carcasse d’un abri rudimentaire, se dressait une effigie féminine, main pointée vers l’azur. Les deux lions de pierre lui firent l’effet de vieux amis. Il s’intéressa à l’aile gauche, mais la barrière de planches qui tenait lieu de porte était bloquée par un gros cadenas requérant l’emploi d’une tenaille. On s’en occuperait plus tard. Il enfila des gants épais et rajusta sa besace. Après avoir jeté un coup d’œil dans les décombres de la loge de concierge, il se consacra au pavillon central. Y pénétrer réveilla toutefois son inquiétude, il hésita sur le seuil, prétextant s’accoutumer à l’obscurité.
    Enfin, il osa s’avancer. L’odeur de charogne lui parut atténuée. Moins organisé que Joseph, il n’avait que des allumettes. Il en craqua une et s’enfonça sous terre vers l’emplacement où, la veille encore, s’accumulaient les déchets anatomiques. Mais il eut beau se brûler les doigts, tout ce qu’il aperçut fut une souris qui se fondit dans la pierre. Tendu comme un ressort, il explora les recoins. Rien. Quelqu’un avait fait le ménage. Sa gorge se serra et il ne put que regarder le sol de terre battue, bien balayé. Il eut un moment de confusion, d’anciennes lectures resurgirent.
    « Avoue que tu redoutes de te heurter au monstre du Dr Frankenstein, ça te fiche le trac, hein ? Poule mouillée ! »
    Il fit volte-face et se mit à courir.
    Il se rua sous les arbustes, remerciant la Providence de lui avoir accordé une vie somme toute plutôt agréable et l’implorant de continuer à le préserver. Il ne lui demandait qu’une petite faveur supplémentaire : consentir à ce qu’il déguerpît incontinent et sans dommage de cet endroit maléfique.
    Les voisins du restaurant À la soupente garnie lui fournirent des renseignements contradictoires. Selon les uns, la patronne avait été transportée d’urgence chez les dames augustines du Sacré-cœur de Marie, selon les autres on l’avait admise à l’Hôpital international. La controverse virait au pugilat, le bourrelier dont l’échoppe était mitoyenne de la gargote donna de la voix : Adélaïde Lesueur luttait contre la mort à l’hôpital de Lourcine, qui portait aussi depuis peu le nom du chirurgien Broca.
    — Je le tiens de son mari, Nestor. Il est tellement paumé qu’il en oublie de se caler les amygdales, du coup je l’ai invité à souper hier, et il m’a dégoisé un paquet de détails avant de se prendre une biture de derrière les fagots. Aux aurores, il était dans les brouillards et battait la campagne, mais ça l’a pas empêché d’aller veiller sa moitié.
    — Et ces détails, quels sont-ils ?
    — Ça, monsieur, j’ai juré de ne pas moufter, question d’honneur !
    Victor comprit qu’insister serait inutile. Il revint sur ses pas, remonta la rue Corvisart et s’engagea rue Pascal.
    L’infirmière qui l’accueillit, une brune replète aux yeux langoureux, lui expliqua que l’établissement, bien que réservé aux femmes atteintes de maladies vénériennes ou d’affections de la peau, hébergeait effectivement la dépouille d’une malheureuse souffrant d’une intoxication sanguine et décédée à l’aube.
    — Serait-ce trop exiger que de rencontrer le médecin qui l’a soignée ? Je suis journaliste, énonça Victor en présentant une vieille accréditation délivrée par Isidore Gouvier.
    L’infirmière pesa le contre – le Dr Sombrin se reposait après une matinée épuisante – et le pour – ce visiteur était plutôt joli garçon. Le pour l’emporta.
    Victor détestait le fumet de phénol et de fièvre propre aux salles où croupissaient, dans des lits blancs identiques, les valétudinaires. En l’occurrence, il s’agissait de femmes, le regard rivé à cet homme élégant dont chacune espérait qu’il n’était là que dans le but de la guérir et lui dédiant de ce fait qui un sourire, qui un hochement de menton.
    Mécontent d’être dérangé, le médecin se remboursa de cette intrusion en pinçant la taille de l’infirmière prompte à détaler. Victor fut convié à s’asseoir dans l’étroit bureau parfumé au désinfectant.
    — Les journalistes se complaisent à fourrer leur nez dans les draps de leurs semblables, à l’affût de potins scabreux.
    — Rien de tel en ce qui me concerne. Je suis ici à titre privé. J’ai mon couvert chez Mme Lesueur, je suis devenu un ami, et, sachant que seul un membre de sa famille

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