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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Gauguin. Je loge place des Vosges.
    Tasha opina sans réfléchir. Si Hans la filait, cela lui ferait visiter Paris.
    — Mon coupé stationne rue Guisarde.
     
    Victor grimpa au premier étage de l’immeuble abritant la salle de rédaction du Passe-partout , rue de la Grange-Batelière. Il y avait longtemps qu’il n’avait humé l’odeur de l’encre fraîche, et la vue d’Antonin Clusel, alias Virus, surnommé le beau Brummell, alliée à ce souvenir olfactif, l’emplit de nostalgie. Qu’elle était déjà lointaine l’époque où il fréquentait l’univers bourdonnant du journal pour lequel il avait jadis rédigé des articles !
    — M’sieu Clusel, j’ai tracé l’itinéraire du tsar, arrivé à Breslau le 5 septembre et prévu à Cherbourg le 5 octobre, après avoir honoré de son auguste présence Kiel, Copenhague et Balmoral. On met ça à la une ? demanda un jeune reporter à casquette.
    — Tarte à la crème, les lecteurs s’en sont goinfrés. Dégotez un truc plus original, tiens, je sais, une chronique sur Tombouctou la mystérieuse, glorieusement occupée par nos troupes en 1893.
    — Plutôt rassis, comme nouvelle.
    — Bon, les grandes manœuvres ou la prochaine inauguration du Triomphe de la République de Dalou, sur la place du Trône, c’est votre boulot, mon vieux, soyez ingénieux. Oh ! Sang Dieu ! Legris !
    Avant d’avoir pu proférer un bonjour, Victor fut séquestré dans un bureau investi par une secrétaire potelée qui pianotait sur le clavier d’une machine à écrire.
    — Eulalie ! Toujours fidèle à la tâche, constata-t-il.
    — D’autant plus fidèle que c’est désormais son sacerdoce, nous nous sommes mariés en juin, dit Antonin Clusel avec un geste de propriétaire. Mon bouchon en sucre, nous n’avons plus de secrets l’un envers l’autre, toutefois, si tu éprouvais l’envie soudaine de déguster un chou à la crème, j’y consentirais.
    — Inutile de me faire un dessin, je sonne la retraite, grogna Eulalie, en claquant la porte.
    Antonin Clusel alluma un londrès. Des ronds de fumée s’élevèrent au-dessus de son bureau sous lequel il attrapa une bouteille de curaçao.
    — Trinquons à nos retrouvailles, mon bon. Mes deux péchés mignons, remarqua-t-il en agitant son gare et son verre. Dommage qu’ils me soient interdits par la médecine ! Aussi, je mets à profit la moindre absence de ma charmante épouse, qui seconde la science dans le noble but de préserver ma santé, pour enfreindre le règlement.
    — Vous me paraissez en pleine forme.
    — Ah, l’être et le paraître, une salade russe !… Sur quelle piste le limier est-il lancé ? Ne froncez pas les sourcils, j’augure dans votre apparition l’espoir d’éclaircir un quelconque sac d’embrouilles.
    — Juste. J’ai là un exemplaire du Passe-partout datant du 10 janvier, et j’aimerais connaître le fin mot de cette histoire concernant le Dakar.
    — Le Dakar ? Montrez… Ah, oui, je me rappelle. Mon bon, la presse exploite les bas instincts et les mauvais penchants, les échos relatant les crimes et les scandales sont la pâture des lecteurs.
    Antonin Clusel ouvrit la fenêtre.
    — J’assure mes arrières, mieux vaut éviter que mon Eulalie en sucre m’assomme de ses prêchi-prêcha. Calez-vous dans ce fauteuil, vous me flanquez le tournis.
    — Vous savez quelque chose, ma main au feu.
    — Ne titillez pas le diable, Legris. Le 10 janvier, c’est du refroidi. La nourriture que nous donne un quotidien est à consommer immédiatement. Personne ne collectionne les vieux journaux, sauf vous.
    — Allons, Antonin, je ne vous réclame pas la lune.
    — Encore sur un coup tordu, Legris ? Bon, je me rends. Les omissions délibérées sont totalement inoffensives parce qu’elles ont la vie courte.
    — Pourquoi prenez-vous des gants avec moi ? Je suis la discrétion même.
    — Je possède peut-être encore un brin de déontologie.
    — Par altruisme ?
    — Par prudence, mon bon, par prudence. Il faut vous engager à…
    — Je m’engage.
    — Virus a jugé plus sage de ne pas affoler ses abonnés, j’ai étouffé l’affaire sous la pression des autorités maritimes. Mais vous, j’accepte de vous mettre au parfum. Le Dakar, quel dommage, nous aurions réalisé de jolis tirages…
    Il souleva une pile de dossiers et en extirpa une chemise contenant deux feuillets dactylographiés qu’il tendit à Victor.
    — Lisez, c’est la première version

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