La mort bleue
symboles nationaux et religieux sur ce dernier permettait de lâarborer en toute occasion.
Le contingent bifurqua dans la rue Saint-Jean et progressa jusquâà DâAuteuil. La salle Loyola se trouvait sur la gauche, tout près de lâintersection. Plusieurs dizaines de soldats se pressaient sur le trottoir devant le Chez nous , au garde-à -vous, un air à la fois martial et recueilli sur le visage.
Un reposoir magnifique, lourdement décoré lui aussi, permit à M gr Marois de poser son ostensoir un moment. Il sâagenouilla, pria pour un prompt retour de tous ces militaires dans leur foyer, alors que les enfants de chÅur enthousiastes agitaient leurs encensoirs à la volée. Le nuage de fumée odorante força certains ecclésiastiques à se racler la gorge.
Ãdouard remarqua un sourire peu compatible avec ce moment de recueillement sur le visage de Fernand Dupire. Curieux, il suivit la direction de son regard, fixé sur lâentrée de la salle Loyola. Une jeune femme assez jolie se tenait là , immobile. Le gros jeune homme esquissa même un signe de la tête.
â Sacré chenapan, songea le jeune commerçant. Les charmes de Jeanne ne te laissent pas indifférent, même le jour de la Fête-Dieu!
Les bras reposés, le prélat reprit sa pièce dâorfèvrerie sacrée contenant le très saint sacrement, progressa sous le dais en direction du sud pour rejoindre le chemin Saint-Louis. La pente de la rue fit gémir le vieux notaire. Heureusement, sa demeure ne se trouvait plus très loin.
* * *
â Tu vois, nous sommes ici en territoire occupé!
Armand Lavergne désignait la salle à manger du Château Frontenac . Début juin, les touristes demeuraient encore peu nombreux à Québec. Les hôtels et les restaurants continuaient tout de même de réaliser de bonnes affaires grâce à une imposante présence militaire. à une table sur deux se trouvait au moins un homme en uniforme. Ces gens-là avaient le geste ample, la voix tonitruante. Lâimage utilisée par le politicien nâétait pas fausse : dâune certaine façon, ils occupaient les lieux.
â Je nâen vois jamais autour de la maison. Pourquoi tâentêtes-tu à vivre dans un cadre aussi artificiel? Cela doit te revenir encore plus cher quâune demeure dans Grande Allée.
â Sans doute un amour du luxe contracté dès lâenfance. Le meilleur souvenir qui me reste de tout mon passé, câest celui dâun voyage en Europe avec ma famille. Dâune certaine façon, je tente de recréer encore et encore lâatmosphère de ce moment.
â Si tu peux te le permettreâ¦
Justement, Lavergne le pouvait de moins en moins. Lâabandon de son siège de député de Montmagny, lors des dernières élections, pesait lourdement sur ses ressources. Le maître dâhôtel vint bientôt vers eux pour demander :
â Voulez-vous votre table habituelle?
â Ah! Pourquoi ne pas innover un peu? Là , juste à côtéâ¦
Du doigt, il montrait une table pour deux, placée à proximité dâune autre, plus grande, où un général richement décoré, flanqué de deux officiers, entretenait une demi-douzaine de civils.
â Je vois. Les plaisirs de lâouïe devront remplacer ceux de la vue.
Lâironie teintait la voix de lâemployé. Il conduisit les deux clients à leur place, remit à chacun dâeux un menu avant de sâéloigner.
â Câest vrai, remarqua Ãdouard, dâhabitude nous nous retrouvons près dâune fenêtre, à contempler les jolies dames sur la terrasse Dufferin.
â Cette fois, je préfère entendre ce que le ministre de la milice raconte à ces journalistes.
Il parlait du général Newburn, assis tout près. Lâhomme entretenait ses auditeurs en anglais :
â Je vous assure, le recrutement va très bien dans la ville de Québec. Les émeutes tenaient à quelques agitateurs aux intentions criminelles. Maintenant que nous les avons maîtrisés, les jeunes gens de la ville sâenrôlent à un rythme très satisfaisant.
â Parce quâils y sont forcés. Autrement, ce serait la prison, rétorqua le journaliste du Soleil avec un lourd accent français.
La levée de toutes les exemptions du
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