La mort bleue
anodins succédèrent aux longs silences. Toutes les deux pensaient à Mathieu, sans toutefois oser lâévoquer à haute voix. Sa lettre les laissait à la fois rassurées et inquiètes.
à Montréal, Thalie guida sa mère vers le tramway avec lâassurance dâune personne rompue aux usages de la grande ville. Le long du chemin, elles constatèrent lâactivité sur les trottoirs, les commerces de nouveau ouverts. Lâépidémie se transformait en mauvais souvenir.
Elles descendirent à peu de distance de la pension Milton, parcoururent le reste du chemin à pied. Du trottoir, Marie contempla la grande maison.
â La bâtisse ne semble pas en très bon état.
â Ne te laisse pas impressionner par le gazon trop long ou les volets un peu de travers. Nous sommes très bien, la nourriture vaut celle de Gertrude, puis toutes les filles ne songent quâà leurs études. Câest un milieu très agréable.
â Sont-elles toutes à lâuniversité?
â La plupart. Certaines fréquentent lâÃcole normale, dâautres étudient pour devenir infirmières.
Elles pénétrèrent dans lâentrée. Thalie actionna la clochette, attendit que la propriétaire revienne de la cuisine.
â Bonjour, madame Anderson. Vous portez-vous bien?
â Oui, heureusement la maladie a épargné mes proches.
â Nous avons aussi eu cette chance. Ma mère mâaccompagne. Je me demandais si vous pourriez lui louer une chambre pour la nuit. Certaines élèves arriveront sans doute seulement demain, puisque les cours reprendront mercredi.
â Normalement, je refuserais de vous attribuer lâune de ces chambres, toutes mes locataires continuant de payer leur loyer pendant leur absence. Vous le savez, nâest-ce pas, puisque câest votre cas aussi. Toutefois, Gladys ne reviendra pas. Je peux donc accommoder madame votre mère.
La femme marqua une pause, se tourna pour prendre deux clés pendues au tableau. Comme une larme hésitait au coin de lâun de ses yeux, Thalie demanda, tout en étant effrayée dâentendre la réponse :
â Voulez-vous dire que?â¦
â La grippe. Ses parents sont venus chercher ses affaires la semaine dernière.
La jeune fille hocha la tête, peinée de ne plus revoir cette jeune étudiante effacée. Elle murmura en se dirigeant vers lâascenseur :
â Nous allons laisser ton sac au premier étage, dans la chambre de⦠dans ta chambre. Nous monterons sous les combles, dans mes quartiers, en attendant le moment de sortir souper.
Elles firent ainsi. Au moment de glisser la clé dans la serrure de la porte 302, un bruit attira leur attention, de lâautre côté du couloir.
â Te voilà enfin! sâexclama Catherine en venant rejoindre son amie.
Elle sâinterrompit en les apercevant, puis dit, un ton plus bas :
â Tu nâes pas seule, je mâexcuse. Bonjour, madame Picard.
La ressemblance ne lui permettait pas de se tromper. Elle tendit la main, continua avec son meilleur sourire, dans un français fort maladroit :
â Je suis enchantée de vous voir. Thalie mâa tellement parlé de vous.
Puis, elle nây tient plus, ouvrit les bras à son amie en chuchotant en anglais :
â Je suis tellement heureuse de te retrouver. à tes vêtements, je devine que les tiens ont échappé à lâépidémie.
Elle voulait parler de lâabsence des couleurs du deuil.
â Câest le cas. Même Mathieu se porte bien. Nous avons reçu une lettre ce matin. Il en va de même de ton côté, à ce que je vois.
â Oui. Nous avons eu de la chance toutes les deux⦠Cette pauvre Gladys. Tu as appris?
La nouvelle venue hocha la tête, ajouta dâune voix changée, tout en consultant sa mère du regard :
â Je vais me retirer avec maman. Tout à lâheure, viendras-tu manger avec nous?
â Je ne veux pas vous dérangerâ¦
â Tu es ma meilleure amie, jâaimerais que maman te connaisse.
Le rose monta aux joues de Catherine, tellement elle appréciait le titre dont lâaffublait sa camarade.
â Je suis venue pour me rassurer sur la vie de Thalie, intervint Marie à son tour. Je suis heureuse de vous connaître. Savoir quâelle a quelquâun sur qui compter ici me
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