La mort bleue
été blessé.
â Mais il va bien, insista Thalie. Jâen étais sûre. Je continue.
Elle reporta ses yeux sur la feuille de papier, lut le second paragraphe :
Je vous en prie, ne craignez rien pour moi, ma guerre est terminée. Dans les jours qui viennent, entre mes promenades destinées à me rendre mes couleurs de poupon, je vous écrirai à chacune de longues lettres. Maman, si Thalie se trouve à Montréal quand tu recevras ceci, téléphone-lui. Elle doit sâinquiéter aussi, malgré ses airs assurés. Fais la même chose avec Françoise, si elle a renoncé à sa carrière de marchande de jupons et autres charmants ornements féminins pour retourner chez son père. Je vous embrasse toutes les trois et je mâarrête ici, car on viendra prendre le courrier dans une minute .
Thalie ferma les yeux, avala une longue goulée dâair, puis elle tendit la feuille à sa mère.
â Il signe simplement Mathieu , dit-elle.
Le silence régna dans la pièce, le temps que les deux autres parcourent la missive à leur tour.
â Allons-nous respecter notre programme dâaujourdâhui? demanda lâétudiante à sa mère.
â Pourquoi pas? Nous savons maintenant ce quâil est advenu de lui. Dans les jours à venir, dâautres lettres nous en diront plus sur sa blessure. Je peux aussi bien tâaccompagner à Montréal, cela vaudra mieux que languir iciâ¦
Elle posa les yeux sur son invitée pour ajouter :
â à moins que Françoise préfère ne pas rester seule.
â Je ne serai pas seule. Gertrude sera là et demain papa doit me tenir compagnie.
Les joues de la jeune femme se couvraient de larmes. Un poids considérable quittait ses épaules.
â Gertrude! sâexclama Thalie. Je monte tout de suite le lui dire.
Elle récupéra la lettre sur la table, fit résonner les marches de lâescalier sous ses talons ferrés.
â Es-tu certaine? demanda encore Marie. Cette lettre doit représenter un choc pour toi aussi. Nous avons passé plus dâun an à attendre une mauvaise nouvelle, tout en espérant le contraire de toutes nos forces. Maintenant, nous le savons tiré dâaffaire.
â Ne changez rien à vos projets. Accompagner Thalie à sa pension est une excellente idée. Cela vous permet de souligner votre appui à ses projets. Malgré ses grands airs, elle en est très heureuse. De mon côté, je suis si bouleverséeâ¦
La marchande prit la main de son invitée, la tint dans la sienne un long moment.
* * *
Le samedi précédent, Marie avait exprimé le désir dâaccompagner sa fille à Montréal. Au moins dix fois depuis, puis encore au moment où elles prirent place dans un wagon de chemin de fer, Thalie dit :
â Ce nâétait pas nécessaire, tu sais.
â Je regrette de ne pas lâavoir fait lâété dernier. Tu as dû te sentir bien seule, au moment dâentrer dans ta nouvelle demeure.
â Mais avec le magasin, tu nâes pas très libre de tes mouvements. Je comprenais très bien.
â Justement, le magasin ouvrira après-demain. Alors jâen profite pour faire amende honorable.
La femme marqua une pause, puis reprit, un peu moins assurée :
â Peut-être quâun retour à lâuniversité avec maman suspendue à ton bras te semble un peu gênant. Tu es une grande fille bien émancipée.
â Maman, que vas-tu imaginer?
Thalie mit dâautant plus de sincérité dans sa voix que sa mère avait raison. Cette présence minerait un peu lâesprit dâindépendance dont elle se montrait si fière.
â Alors accepte ma présence pour me faire plaisir. Je veux voir ton cadre de vie. Pendant les années à venir, je tâimaginerai plus facilement dans ta chambre à la pension et dans les grands amphithéâtres. Jâen serai si fière que je devrai aller me confesser.
La jeune fille prit le bras maternel, le serra bien fort. Afin de prévenir une ondée de larmes, sa compagne changea abruptement de sujet.
â Cela ne te va pas si mal, de te promener sans masque. Tu es même plutôt jolie.
â Je me sens un peu nue.
â Attends de voir les robes, lâété prochain. Nous allons montrer nos mollets.
Tout le long du trajet, les sujets
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