La mort bleue
rassurera. Vous ne nous dérangerez pas.
â Dans ce cas, je me joindrai à vous pour le repas.
Les deux femmes se réfugièrent dans la chambre 302.
â Elle paraît gentille, remarqua la mère, amusée de la rencontre.
â Elle lâest. Quand je suis arrivée, elle a frappé à la porte pour me tendre la main comme cela.
Thalie imita le geste en riant.
â Désire-t-elle être médecin?
â Avocate.
â Oh! Une profession moins dangereuse que la tienne, en cas dâépidémie.
â Mais moi, je ne serai pas en contact avec des criminels!
Marie apprécia la remarque. Assise sur la chaise placée devant la table de travail, elle examina la petite pièce. Depuis septembre, les rayons sâétaient couverts de livres, il en traînait aussi quelques-uns sur le plancher.
â Comme elle est en seconde année, elle mâaide à me familiariser avec la ville et lâuniversité.
â Tu nâes pas seule, cela me réconforte. Paul me dit souvent que la vie ne sera pas simple pour toi.
â Ton amoureux ne vient pas semer lâinquiétude dans ton esprit, jâespère?
â En réalité, ses paroles visent à me rassurer. Cela ne fonctionne pas toujours.
Cet homme était une véritable bénédiction. Sans lui, Marie aurait mis toute son énergie à vouloir diriger la vie de ses enfants. Sa présence permettait à la femme de supplanter souvent la mère, au grand plaisir de lâétudiante. Cependant, les députés de la campagne brillaient rarement par leur avant-gardisme. Elle se méfiait un peu de son attitude à lâégard de ses projets.
â Ta petite visite te tranquillisera lâesprit tout à fait, jâespère.
â Ma présence ici ne te gêne pas, tu es certaine?
â Pas du tout. Et toi, de ton côté, tu ne mâen veux pas dâavoir invité Catherine, ce soir?
â Au contraire. Je suis sincère quand je dis que je suis soulagée. Dans ce milieu étranger, je craignais que tu ne te trouves perdue.
Elle se leva pour lire les titres des volumes sur les étagères et amena la discussion sur leur contenu.
* * *
Après le départ de sa patronne et de son amie, Françoise, préoccupée, tourna en rond la majeure partie de lâaprès-midi. La lettre venue du Royaume-Uni la rassurait et, dans une certaine mesure, la libérait. Jusque-là , tous ses moments de loisir sâaccompagnaient dâun vague sentiment de culpabilité. Mathieu souffrait, risquait la mort. Comment pouvait-elle profiter de lâexistence? Le savoir en sécurité allégeait son esprit.
Vers cinq heures, elle quitta lâappartement du dernier étage pour aller téléphoner dans le commerce, afin de profiter dâun peu de discrétion. Gertrude ne passait aucune remarque sur son comportement, mais ses yeux sombres, le pli de son front, valaient les reproches les plus sévères.
Au moment du repas, la jeune fille balbutia :
â Je vais sortir, tout à lâheure.
â ⦠Vous nâavez pas de comptes à me rendre.
â Ce nâétait pas mon intention de rendre des comptes.
Cependant, comme nous vivons dans la même maison, je voulais vous le faire savoir.
La domestique garda les yeux sur son assiette, arrivant difficilement à taire ses récriminations. Après un moment, sans un mot, elle regagna la cuisine. Françoise acheva son repas toute seule, morose.
Un peu après sept heures, elle enfila son manteau, descendit pour se rendre sur le trottoir, devant la porte. Un moment plus tard, Gérard vint la rejoindre. Il retira son chapeau en sâapprochant.
â Mademoiselle, votre appel téléphonique mâa fait tellement plaisir!
En le relançant de cette façon, elle rompait toutes les convenances. Cela lui donnait une certaine audace. Il ajouta en sâinclinant devant elle :
â Me permettez-vous?
Elle leva la tête, les yeux mi-clos. Les lèvres froides touchèrent sa joue. à la lueur des réverbères, autoriser cette privauté devenait un engagement. Lâhomme se redressa, un peu intimidé par sa propre hardiesse.
â Maintenant, remettez votre feutre, ordonna sa compagne, amusée. La grippe a fait suffisamment de victimes dans notre ville. La politesse ne devrait pas vous amener à risquer votre
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