La mort bleue
prendrons un taxi tout de suite après pour nous rendre à la gare.
Thomas descendit de voiture, tendit la main afin dâaider sa femme à faire de même. Il se pencha à la fenêtre de la portière du conducteur pour dire encore :
â Nous rentrerons dimanche.
â Ne crains rien. Je prendrai bien soin du commerce, et Ãvelyne, de la maison.
â Je nâen doute pas.
â ⦠Et sincèrement, mes sympathies. Je sais combien tu appréciais le vieux chef.
Lâhomme chercha sans la trouver une trace dâironie dans la voix de son fils.
â Merci⦠Bon, va travailler maintenant.
Comme le couple le constata bien vite, pénétrer dans la cathédrale avec chacun une valise à la main attirait lâattention. Des regards curieux les suivirent depuis les grandes portes jusquâà leur banc, dans lâallée centrale. M gr Ãmile Buteau, récemment élevé au rang de « prélat domestique », en récompense de son engagement indéfectible pour lâaction sociale catholique, présidait la cérémonie.
â Le bonhomme a fait du chemin, depuis le moment où il venait vérifier les connaissances du catéchisme dâEugénie et dâÃdouard, murmura Thomas à lâoreille de sa conjointe.
â Demeure-t-il tout de même curé de Saint-Roch?
â Ãvidemment. Mais à présent, il est susceptible de se voir nommer évêque dâun petit diocèse, comme Saint-Jean ou Saint-Hyacinthe.
Ils abandonnèrent leur discussion sur les perspectives de carrière de Sa Grandeur M gr Buteau pour écouter son sermon. Lâexercice servit à mettre en lumière la piété exemplaire de lâancien premier ministre, tout au long de sa vie. à ce moment, rappeler que le grand homme avait appartenu pendant quelques années à lâInstitut canadien aurait paru mesquin. Le célébrant venu de la Basse-Ville sâen priva. En effet, cet élément biographique aurait tempéré lâavalanche dâhommages adressés à cet homme. Car à titre de membre de cette organisation, le jeune Laurier sâétait trouvé touché par une mesure dâexcommunication.
à la fin de la cérémonie, le couple Picard quitta le temple avec ses bagages. Sur le parvis, Thomas put saluer tout le cabinet provincial. Les députés du parti au pouvoir, comme ceux de lâopposition, se trouvaient là , ainsi que la plupart des membres du conseil municipal. Même les conservateurs et les nationalistes ne tarissaient pas dâéloges sur le défunt.
â Thomas, tu sembles sur le point de partir en voyage, déclara une voix amusée.
Le marchand se tourna pour reconnaître Louis-Alexandre Taschereau. Le petit homme demeurait fidèle au port de la redingote, ce qui lui donnait un peu lâair dâun croque-mort, surtout quand il se coiffait, comme à présent, dâun haut-de-forme.
â Nous prenons le train tout de suite pour Ottawa afin dâassister aux funérailles, demain.
â As-tu obtenu un laissez-passer?
â Une faveur dâErnest Lapointe.
Des milliers de personnes souhaitaient assister à lâévénement. Seules celles munies dâune autorisation pourraient entrer dans la cathédrale catholique de la capitale fédérale.
â Le cher Ernest sait se rendre indispensable, ricana le ministre.
â Comme mon époux a été indispensable à Laurier pendant plus de vingt ans, intervint Ãlisabeth, ce nâest que justice.
Dâhabitude, cette femme préférait demeurer très discrète à propos des activités politiques ou commerciales de son époux. Devant la mesquinerie implicite de la remarque, cette précision lui paraissait toutefois sâimposer.
â Madame, consentit Taschereau, tout politicien se féliciterait dâavoir un organisateur politique de la compétence de Thomas. Toutefois, il sâagit dâun monde souvent ingrat pour ceux qui travaillent dans lâombre.
Le ministre regarda les voitures stationnées près de la cathédrale.
â Ãdouard doit vous conduire à la gare, je suppose. Mais je nâaperçois pas la grosse Buick.
â Mon fils se trouve au magasin. Nous allons prendre un taxi.
â Avec cette foule, ça ne sera pas évident. Montez avec moi, je vous déposerai Ã
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