La mort bleue
teneur en alcool de deux et demi pour cent est présentée comme une source de bonheur pour la classe ouvrière.
â Pour les satisfaire, le gouvernement Borden voudra-t-il mettre son projet de loi sur la prohibition totale au rancart? questionna Ãlisabeth.
Le maire Lavigueur répondit cette fois :
â Il laissera probablement les provinces décider à leur guise.
â Et du côté de Québec, continua Thomas pour indiquer combien il demeurait au courant de tout, le gouvernement tiendra un référendum pour savoir si le bon peuple préfère ou non avoir accès à la bière et au vin en vente libre.
Son compagnon hocha la tête pour indiquer combien ce scénario était probable.
â LâÃglise fera une nouvelle fois campagne pour la prohibition complète, déclara Ãlisabeth.
â Le tout sera de savoir si elle obtiendra le même résultat quâen 1917, ricana son époux.
â Veux-tu parier?
Lâhomme saisit sa main tout en lui adressant un sourire moqueur. Une fois levée la menace de la conscription, ses concitoyens lui semblaient peu enclins à se prononcer en faveur de lâabstinence totale. En lâabsence dâun motif sérieux de se sacrifier afin dâattirer la protection du Seigneur sur eux, lâeffort leur semblerait démesuré. Ãtre forcé à la vertu paraissait moins méritoire dans les circonstances actuelles.
â Mais tu resteras encore privé de cognac, se moqua encore sa femme, prohibition mitigée ou non.
La prédiction arracha un soupir de lassitude au marchand.
* * *
De la gare dâOttawa, les voyageurs empruntèrent un taxi afin de se rendre à leur hôtel, dans la rue Metcalfe. Après être passé à la réception, Lavigueur déclara à ses compagnons de route :
â Si vous souhaitez aller à la Chambre des communes afin de lui rendre un dernier hommage, joignez-vous à moi. Je vais vous attendre ici dans dix minutes.
â Non, ce ne sera pas nécessaire, répondit Thomas, déclinant lâoffre.
â Vous savez, la file dâattente risque de compter des milliers de personnes. Je pourrai vous faire passer plus vite, en usant de mes privilèges de député.
â Je le sais bien. Lapointe doit venir me chercher pour cette raisonâ¦
Le maire lui adressa un sourire entendu.
â La rumeur dit donc vrai : vous êtes déjà en campagne.
â La rumeur exagère un peu. Je demeure attentif aux attentes des électeurs de Québec-Est et je donnerai mon appui à la personne quâils choisiront comme candidat.
â Si jâavais lâesprit un peu plus aventureux, je parierais que cette personne sera justement celle qui vous accompagnera devant le cercueil de notre ami.
Lavigueur gagna sa chambre en compagnie de sa femme. Thomas sâattarda un peu dans le kiosque à journaux, puis fit de même avec la sienne.
â Câest tout de même curieux, déclara-t-il, une fois les portes de lâascenseur fermées sur eux. Tout le monde paraît deviner mes intentions.
â Peut-être te montres-tu un peu trop transparent. Accepter les laissez-passer de Lapointe, en ces circonstances, me paraît aussi compromettant quâun mariage dans le chÅur de la basilique.
â Ma foi, tu devrais présider le comité féminin du Parti libéral dans Québec-Est. Autrement, tes compétences seront gaspillées.
Dans le couloir du troisième étage conduisant à leur chambre, elle revint sur le sujet :
â Je ne savais même pas quâil existait un comité de ce genre.
â Il sera créé bientôt. Comme toutes les femmes pourront voter lors de la prochaine élection, nous nâallons pas les négliger. Tu sais, je suis sérieux. Ce serait une bonne idée.
Elle le remercia dâun battement de cils au moment dâentrer dans la chambre.
â Tout aussi sérieusement, je refuserai. La politique est ta passion, pas la mienne.
Une heure plus tard, le couple revint dans le hall de lâhôtel. à leur arrivée, le colosse de Rivière-du-Loup quitta son siège pour les rejoindre, la main tendue.
â Je suis heureux de vous rencontrer, madame Picard, commença-t-il.
Il enchaîna en se tournant vers son futur organisateur politique :
â Thomas, jâaurais aimé que ce soit
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